Vous l’aurez très probablement déjà compris depuis votre naissance : l’eau n’est pas l’habitat naturel de l’être humain. Si vous essayez de rester en apnée en étant immergé, au mieux vous tiendrez quelques bonnes minutes, au pire quelques secondes. C’est un fait, l’être humain n’est génétiquement pas disposé à évoluer en milieu sous-marin.
Cependant, le groupe ethnique des Bajau, surnommé « les gitans des mers » en raison de leur caractère nomade, s’avère compter en son sein les tout premiers êtres humains à présenter des caractéristiques génétiques les destinant plus que les autres individus à se mouvoir dans l’eau. Ces modifications sont intrinsèquement liées à leurs habitudes de vie depuis maintenant des millénaires.
Matthieu Paley, National Geographic
De par leur source d’alimentation constituée presque uniquement de poissons, les Bajau, qui sillonnent les mers de l’Asie du Sud, entre la Malaisie, les Philippines, et l’Indonésie, sont d’excellents pêcheurs. Ils sont si habitués depuis des milliers d’années à pêcher sous l’eau qu’ils sont à présent capables de rester jusqu’à 13 minutes en apnée à 60 mètres de profondeur. Des millénaires à retenir leur respiration chaque jour ont fortement décuplé leurs capacités, notamment à gérer leur oxygène et à pouvoir en conserver bien davantage que la moyenne.
Ces fantastiques performances ont poussé des scientifiques à étudier le code génétique des Bajau, qui a révélé des mutations leur conférant des avantages certains par rapport à la moyenne des humains en matière de plongée. La passionnante étude menée par la chercheuse Melissa Ilardo a été publiée dans le journal Cell.
Il s’avère que les Bajau ont une rate beaucoup plus large que la moyenne, et un gène appelé PDE10A, influant sur une hormone thyroïde. Deux éléments qui se sont développés au fil des siècles pour adapter les Bajau à leur environnement marin, et qui auraient un lien direct avec leurs formidables habiletés, au travers de la sélection naturelle. L’habitude et l’entraînement des Bajau les ont, en plus de leurs facultés génétiques, aidés à supporter beaucoup mieux la pression de l’eau, qui peut pourtant faire éclater les vaisseaux sanguins passé un certain seuil. Leur corps s’est adapté, notamment la cage thoracique, les poumons, la rate et le diaphragme à leur quotidien sous-marin depuis des siècles.
National Geographic souligne néanmoins que la pêche industrielle a des conséquences sur le mode de vie des Bajau, de même que leur caractère nomade qui les prive de citoyenneté, les poussant à abandonner progressivement leur groupe, leur culture, et ses habitudes, jusqu’à potentiellement les faire disparaître à terme. Un fait d’autant plus dommageable que les prédispositions génétiques des Bajau pourraient aider la recherche scientifique à gérer l’hypoxie, le manque d’apport en oxygène aux tissus musculaires.