Alors qu’elles se réjouissaient du droit historique qu’on venait de leur octroyer, les Saoudiennes sont réduites au silence dans les médias.
Selon trois militantes qui se sont confiées au Monde sous couvert d’anonymat, une quinzaine d’entre elles aurait reçu un appel menaçant d’un interlocuteur se réclamant des autorités. Celui-ci leur aurait sommé de ne pas s’exprimer dans la presse, ni sur les réseaux sociaux, sous peine de s’exposer à des « procédures », seulement quelques heures après l’annonce de l’autorisation de conduire octroyée aux Saoudiennes par un décret du roi, dans la nuit du 26 au 27 septembre.
Une menace prise au sérieux puisque la plupart d’entre elles ont cessé leur activité sur Twitter et ont décliné les demandes d’interview, du moins à visage découvert. C’est ce que confie Tamador Al-Yami sur son compte Twitter: « Pour des raisons indépendantes de ma volonté, je ne peux pas continuer à commenter la levée de l’interdiction sur la conduite des femmes ».
Marwan Naamani / AFP
Des pressions étonnantes puisque la volonté de l’Arabie Saoudite, à travers ce décret, était de redorer son image vis-à-vis de la communauté internationale. Seulement voilà, l’État compte bien contrôler toute la communication autour de cet événement et ne voit pas d’un bon œil que les femmes s’expriment sur leur combat : « Le pouvoir ne veut pas que nous disions que nous avons obtenu nos droits parce que nous nous sommes battues pour cela » dit une des femmes interrogés par Le Monde.
Une autre des militantes abonde dans le même sens : « Il veut imposer l’idée que c’est le roi, dans sa bienveillance, qui nous a accordé ce droit. C’est pour cela que les femmes qui soutiennent le gouvernement, comme les membres du Conseil consultatif, sont, elles, encouragées à parler. Ils ne veulent pas que le peuple réalise que les pressions publiques peuvent apporter des changements. Ils ont trop peur qu’une fois la porte ouverte, ils n’arrivent pas à la refermer. »
Selon ces trois militantes, l’interlocuteur en question s’est présenté sous des identités diverses, tantôt comme un responsable du ministère de l’Intérieur, tantôt comme un membre de la cour, ou alors come un membre de Ri’asat Amn Al Dawla, un service de sécurité rattaché au palais royal. Si elles pensaient à un canular au début, elles ont tout de même pris ces menaces au sérieux: « Toutes les femmes qui ont été contactées cette fois-ci, ont déjà été appelées, par le passé, par le ministère de l’Intérieur ».
Le Monde a tenté de contacter le porte-parole du ministère de l’Intérieur, en vain. Et pour le moment, l’enthousiasme est vite retombé chez les Saoudiennes: « C’est terriblement frustrant, notre joie est partiellement gâchée », dit l’une d’entre elles, même si finalement elles retiennent le plus important, c’est leur droit à conduire qu’elles viennent de glaner.