Être femme et Noire, dans le milieu du cinéma, c'est comment ? Pas facile, si l'on en croit les 16 comédiennes françaises qui ont publié un livre sur l'industrie du cinéma et ses dérives, ses stéréotypes et ses rôles préfabriqués. Un système qui dure sans que cela ne semble réellement évoluer. Ces 16 actrices, dont Aïssa Maïga et Sonia Rolland ont décidé d'affirmer que « Noire n'est pas mon métier ».
Aujourd’hui 16 actrices publient un manifeste nécessaire et puissant: «Noire n’est pas mon métier». Coordonné par @AissaMaiga , le livre recueille les témoignages dignes, émouvants et drôles, d’artistes qui refusent l’assignation. #NoireNestPasMonMetier https://t.co/miCq5bvVgj pic.twitter.com/VouIICqzpw
— Rokhaya Diallo (@RokhayaDiallo) 3 mai 2018
Ce livre collectif, à l'image d'un manifeste, est publié quelques jours avant le début du festival de Cannes. La trame ? Le parcours, trop souvent semé d'embûches, de ces femmes passionnées par ce qu'elles font mais trop souvent rabaissées au rang de femmes Noires. Au sexisme ambiant de notre société, se rajoute un racisme décomplexé qu'elles racontent tout au long de ce livre. Elles y racontent alors les réflexions douteuses dont elles ont été les cibles et surtout l'importance de changer le regard porté sur un film où une femme Noire a le premier rôle, qui voudrait que « quand il y a trop de protagonistes noires, ça ne marche pas en termes de recettes » comme le déplore Sonia Rolland au micro d'Ali Baddou.
Mais attention « on n’est pas dans une accusation stérile, on ne balance aucun nom, on est là plutôt pour dénoncer un système qui perdure depuis trop longtemps » précise Sonia Rolland. Élever les consciences. C'est tout. Et pour y parvenir, il faut mettre en lumière des événements, des anecdotes, des sentiments ressentis et des peurs liés à l'avenir d'une actrice Noire dans une industrie qui propose aux actrices Noires des rôles ultra-stéréotypés comme ceux de « mamas en boubous, mère célibataire à problèmes, prostituées... » assène Aïssa Maïga à France Info.
Comédienne pas Noire
Accepter toutes les pluralités qui existent sans en oublier qu'une comédienne n'en reste pas moins une humaine, sans devoir la catégoriser dans la case « Noire ». Et surtout, ne plus avoir à répondre à la question « vous parlez africain ? » comme le déplore en souriant Aïssa Maïga sur France Inter, ou encore se heurter à un refus parce que : « ah désolé... Vous n'aviez pas vu que l'annonce concernait un rôle d'avocat ? » avant même d'avoir pu passer le casting. « Parfois, nous sommes trop françaises pour jouer des noires...» regrette-t-elle, lors d'une interview pour Grazia.
Plus loin encore, le livre dépeint des situations embarrassantes tant les réflexions sont sidérantes. Et entre le sexisme et le racisme, il n'y a qu'un pas, comme le relate Nagède Beausson-Diagne qui a eu le droit à une réflexion on ne peut plus aberrante : « Pour une Noire, vous êtes vraiment intelligente, vous auriez mérité d'être blanche » ou bien de supposer un atout sexuel chez elle : « oh, la chance, d'avoir des fesses comme ça : Vous devez être chaude au lit, non ? ».
«Pour une noire, vous auriez mérité d'être blanche» :
— France Inter (@franceinter) 4 mai 2018
.@AissaMaiga et .@SoniaRolland racontent les perles entendues sur les plateaux de #cinéma #Noiren'estpasmonmétier @EditionsduSeuil pic.twitter.com/pceOOHMvpP
Sans parler de l'inégalité. Si les femmes sont moins bien payées que les hommes dans le milieu du cinéma, les femmes noires, elles, sont encore moins bien payées que leurs consœurs. « Dans une comédie à succès, nous étions quatre comédiennes principales. J'ai appris que l'une d'elles, et je ne parle pas de l'actrice vedette, était cinq fois mieux payée que moi pour un nombre de jours de tournage équivalent. Elle-même était très choquée de découvrir la différence de salaire entre nous deux » confie Firmine Richard à France Info.
Aïssa Maïga explique à FranceInfo que « ce livre est un pavé dans la mare, mais c'est aussi une main tendue à nos pairs, directeurs de castings, réalisateurs, scénaristes, financiers. C'est une occasion de les amener à s'interroger, sans culpabiliser » et Sonia Rolland de rajouter qu'elles ont écrit « le livre avec beaucoup d'humour parce qu'on essaie de décomplexer les gens sur la question : le mot « noir » n'est pas un problème pour nous ! ».