Orelsan, qui a brillé lors de la 33e cérémonie des Victoires de la musique, a remporté trois prix, consécration d'un travail acharné. Mais la victoire des uns fait la défaite de certains. En ce sens, une pétition circule aujourd'hui pour que ses récompenses lui soient retirées.
Cette fois-ci, rien de très simple ni de très basique. Orelsan, a remporté le prix de l'artiste masculin, de la création audiovisuelle pour son clip « Basique » et celui de l'album de musiques urbaines, le tout pour son dernier album « La Fête est Finie ». Un album complet. Un concentré de talent qui mêle plume aguerrie, beat entraînant et un flow dont lui seul a le secret. Cinq ans après, Orelsan a offert l'un de ses meilleurs albums, un Orelsan toujours égal à lui-même, en une version edulcorée. Le fan de mangas s'est assagi. Il s’est adouci, sûrement grâce à la rencontre de l'amour qu'il chante dans « Paradis ». Une déclaration d'amour intense, un tantinet pudique, à sa façon, toujours.
Mais voilà. Voilà qu'il doit (encore) faire face à ses détracteurs. Des détracteurs qui se sont prêtés à l'exercice et au rôle de juge pour définir si le travail d'un artiste mérite ou non des récompenses. Un album mauvais ? Il faudrait que ses 16 000 détracteurs l'aient écouté. Non, la raison de ce désir de lui retirer ses prix est tout autre. En vérité, « Sale Pute » et « Saint-Valentin » restent une sorte de « traumatisme » pour bon nombre d'entre eux. Parmi eux, l'initiatrice de la pétition, Céline Steinlaender explique que « outre le fait que des artistes étaient 100 fois plus méritants sur le plan purement artistique, ce qui est beaucoup plus grave et n'est pas acceptable, ce sont certains propos lus et entendus dans ses 'chansons' ». Les goûts et les couleurs, comme on dit.
Pas le droit à l'erreur
En 2007, Orelsan fait parler de lui avec sa chanson « Saint-Valentin » où il endosse le rôle d'un pauvre mec, paumé qui raconte que « j'vais la limer jusqu'à c'qu'elle soit couchée et qu'elle voit des clochettes, mais ferme ta gueule ou tu vas t'faire Marie-Trintignier, j'te l'dis gentiment, j'suis pas là pour faire de sentiments ». La pilule ne passe pas pour les associations féministes. En 2009, il réitère avec le titre « Sale Pute » qui figurait sur l'album « Perdu D'avance » cette fois-ci, endossant, effectivement, le rôle du mec bourré qui frappe sa femme. Pour ces propos, le rappeur a été poursuivi pour « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence contre les femmes ». Le 18 février 2016, Orelsan est relaxé. La cour d'appel retenant le caractère fictif du personnage de sa chanson.
Mais. Il y a toujours un « mais ». L'opinion publique ne semble pas être sur le chemin de la rédemption. Pourtant, l'artiste s'est excusé, essayant d'expliquer le pourquoi du comment, venant même à retirer « Sale Pute » de son album et refuser de la chanter lors de ses concerts « ne souhaitant l'imposer à personne ». Mais si ces deux titres résultent du domaine de la fiction, tout le monde ne semble pas le voir du même oeil. Céline Steinlaender demande donc « comment, dans une période comme celle que nous vivons, est-il seulement possible d’accepter ça ? » et appelle « tous les mouvements défendant les droits des femmes, et toutes les associations des droits de l’homme, à s’insurger contre le résultat de cette soirée, et demandons l’annulation pure et simple des prix reçus par cet individu qui devrait être tout simplement censuré ». Pour la liberté d'expression, du coup, on repassera.
Alors, au vu de ces quelque 16 000 signataires, une question, somme toute légitime se pose. Ont-ils même écouté « La Fête est Finie » qui signe un Orelsan changé, grandi ? Un Orelsan engagé, qui ne cesse de mener des réflexions sur la société dans laquelle on évolue, qui crie son amour à la femme avec qui « ça fait 7 ans qu’on sort ensemble depuis deux semaines » et qui soulève le mal-être d'un mec sensible malgré tout, humble et qui assume son côté marginal parce qu' « avant j'avais peur d'être pas normal, quand je vois les gens normaux je suis fier d'être pas normal ».
Quand on écoute « La Fête est Finie » c'est un peu comme faire une thérapie. C'est prenant. C'est subtil. Et c'est intelligent. Mais jamais vulgaire, en tout cas pas dans le fond. D'ailleurs dans « Défaite de Famille » Orelsan décrit une situation familiale. Violent mais très juste, ce titre peut résonner en chacun de nous. Quand sa grand-mère est interrogée quant à ce titre en question, elle rit. Évidemment, c'est une fiction. Certaines fictions, sont plus acceptables, du coup. Ou alors, peut-être peut-on choisir de ce qui est fictif ou non ? Tout ça parce que nous aussi on a un oncle un peu relou. Alors, qu'est-ce qui cloche avec Orelsan ? Pourquoi est-il victime d'acharnement quand d'autres peuvent dire, écrire ou chanter ce que bon leur semble ?
Mémoire sélective
Orelsan possède le défaut d'être un artiste inscrit dans le milieu urbain, qui rappe et qui d'ailleurs, a souvent cassé les codes du rap. Car, on le sait, la violence sexuelle est l'apanage du rap. Alors, c'est évident, un peu injuste aussi, que les foudres s'abatteraient sur lui. Un artiste qui assume sa nonchalance et sa lenteur. Un artiste « je-m'en-foutiste », dont peu de chose l'importe et surtout pas les critiques. Un comportement qui facilite l'irritabilité de certains. Orelsan, malgré lui, n'est pas parvenu à faire oublier ses couplets datant de 2006. L'opinion publique elle, ne parvient pas à distinguer l'œuvre de la personne. Ce que l'on reprochait d'ailleurs aux détracteurs de Woody Allen il y a quelques mois.
Mais alors, qu'en est-il de Georges Brassens lorsqu'il chantait « Le comble enfin, misérable salope. Comme il n’restait plus rien dans le garde-manger t’as couru sans vergogne, et pour une escalope. Te jeter dans le lit du boucher ! » ? Qu'en est-il de Michel Sardou, considéré comme immense artiste de la chanson française, qui faisait l'apologie du viol, comme ça, en toute détente, « j’ai envie de violer des femmes, de les forcer à m’admirer. Envie de boire toutes leurs larmes et de disparaître en fumée ». Alors, oui, c'est vrai, c'est un peu plus poétique, il n'y a pas le mot « pute » ni « suce » mais le message est le même. Pourtant, tous deux ont reçu des prix. Oui oui. Georges Brassens recevait en 1967 le Grand Prix de la poésie, et Michel Sardou recevait lors des Victoires de la musique en 1991 le prix du meilleur artiste interprète. Le tout sans que personne ne pipe mot.
De son côté, Léo Ferré, qui nous a ému aux larmes lorsqu'il chante qu' « avec le temps va, tout s'en va » assumait, non sans un soupçon de fierté, que « la misogynie, c'est intéressant. Il faut être misogyne. Il faut savoir mettre les femmes à leur place. Et quand on a fini de les adorer, il faut qu'elles nous foutent la paix ». Une déclaration faite lors d'un entretien télévisé et non pour servir une prose. Orelsan, lui, s'est toujours inscrit dans un discours soutenant la cause féministe. « Les féministes ont fait énormément de choses bien, et elles continuent » avait-il déclaré.
Tout ça, pour dire que, quoiqu'il advienne, Aurélien Cotentin n'est pas près de laisser son personnage Orelsan de côté, quitte à déranger, encore, ou à rappeler que entre « avoir des principes et être un sale con, la ligne est très fine ».