Terminées, les pérégrinations de Marco Polo, quand il suffit désormais de commander un vol charter pour s’offrir un aller-retour en Asie. Terminé, le tour du monde Magellan : désormais, des centaines d’appareils s’adonnent allègrement à la circumnavigation de la Terre, sans que personne ne hausse le moindre sourcil. Finis, les merveilleux voyages de Bougainville, quand les îles du Pacifique sont transformées en vastes station balnéaires et couvertes d’hôtels-clubs tout compris.
Les aventuriers, comme les poètes, font désormais partie d’une race éteinte. Il faut bien se rendre à l’évidence, le monde est ainsi fait…
Ou plutôt, le monde serait ainsi fait, s’il n’était pas justement encore peuplé d'êtres aux pieds ailés et à l’âme ardente, d'oiseaux de passage… Bref, de personnes au cœur un peu fou, à l'instar d'Eliott Schonfeld.
À tout juste 23 ans, Eliott a déjà vécu bien des choses. Dompteur de crocodiles en Australie et de chiens de traîneau dans le Grand Nord, il est même allé sur la Lune — ou tout du moins, sa version terrestre : le désert de Gobi.
Au cours de l’été 2015, le jeune homme a passé 3 mois en Mongolie. Il s'achète un cheval, et part à la rencontre des nomades dans les steppes du nord, sur plus de 900 kilomètres.
Puis, il traverse le paysage minéral et lunaire du désert de Gobi, l’un des lieux les plus inhospitaliers du monde : une épopée de près de 700 kilomètres qu’il accomplira cette fois à pied, seul et en autonomie complète — et qui lui prendra plus d’un mois.
Eliott Schonfeld se destine, selon ses propres termes, à une « carrière d’aventurier professionnel ». Dans les faits, et faute de roi d’Espagne ou de riche mécène sous la main pour commanditer ses expéditions, Eliott photographie, filme et écrit ses aventures. Il projette déjà de publier un album photo et d’écrire un livre, dont le premier manuscrit sera achevé fin mars. Il sera disponible sur son site internet.
À 23 ans, Eliott a déjà pas mal roulé sa bosse à travers le monde. C’est en 2011, peu de temps après avoir obtenu son baccalauréat, qu’il décide de quitter son mode de vie sédentaire et de partir à la découverte de mondes où l’homme n’a pas encore laissé sa marque et où la nature demeure sauvage.
Avant le grand départ, il passe un hiver à travailler comme handler [responsable de chiens de traîneau, NDLR] dans le Vercors. Puis, il s’envole enfin pour son premier long voyage, l’Australie, où il restera 6 mois. Il passera la plupart de son temps dans les parcs nationaux, notamment le Kakadu National Park (le plus grand parc national d’Australie) où il observe pendant des semaines et des semaines le plus gros crocodile du monde : le Saltwater crocodile.
En 2013, Eliott s’embarque en direction du Grand Nord canadien, dans le camp de chiens de traîneau d'un ami, perdu dans la forêt québécoise — à deux heures du premier village. Là-bas, il travaille comme handler, puis comme musher [guide de chiens de traîneau].
Après 8 mois passés à vivre avec des chiens, il revient finalement à Paris, et décide de reprendre ses études en s’inscrivant à l’Université. Pour enfin se remettre dans le rang et suivre le cours d’une vie plus « classique » ?
Bien sûr que non. Après quelques jours assis sur les bancs de la fac, Eliott décide que tout cela ne lui convient pas : lui, il rêve de devenir un nomade, un aventurier. Difficile, en effet, de replier ses ailes lorsque l’on a goûté à la liberté…
2015, il passe à un niveau supérieur : il s’embarque pour un périple de 3 mois en Mongolie, des steppes du nord au légendaire désert de Gobi. Pendant un mois et demi, il se déplace avec un cheval qu’il achète dans le village de Khakhorin, situé au centre du pays, proche de la capitale. Il parcourra près de 900 kilomètres avec sa monture, de yourte en yourte, à la rencontre des nomades des steppes Mongoles. Puis, il quitte son cheval et la deuxième étape de son expédition débute : la traversée d’un des endroits les plus hostiles et impropres à la vie de toute l’Asie centrale, le désert de Gobi.
C'est ce voyage qu'Eliott souhaite partager avec nous avec son film, seul avec son sac à dos, au milieu de paysages mongols à couper le souffle. Dans la première partie de son voyage, il nous entraîne dans le fin fond de la steppe, avec son cheval. Ensemble, ils parcourent plus de 900 kilomètres, de yourte en yourte, à la rencontre du peuple nomade.
Après un mois et demi, Eliott se sépare de son compagnon, et s’aventure dans un environnement bien moins accueillant que la steppe verdoyante : Le désert de Gobi. Sa traversée d’un des lieux les plus inhospitaliers d’Asie centrale, lui prend 34 jours. Des chameaux et des dunes gigantesques l’accompagne tout au long de son périple.
Pendant 34 jours, à 22 ans, il parcourra 700 kilomètres de désert, seul, à pied et avec l'inquiétude permanente de ne pas trouver assez d'eau.
Contacté par Demotivateur, Eliott a aimablement accepté de répondre à quelques questions. Il nous en dit plus sur les raisons qui l'ont poussé à vouloir partir, sur la manière dont il a survécu dans l'un des lieux les plus arides de la planète, et sur ses rencontres dans les steppes mongoles.
Eliott Schonfeld : Actuellement, je termine une licence de philosophie que j’ai commencée il y a deux ans à la Sorbonne. Parallèlement à mes études, j’organise de longs voyages pendant les 3, 4 mois de coupure que l’on a pendant l’été, et cela avec l’objectif final de devenir aventurier professionnel. Je prépare déjà des expéditions bien plus longues et bien plus ambitieuses une fois mes études terminées.
E : Par exemple, en 2017, je compte traverser les 5000 kilomètres de l’Himalaya, du Pakistan au Tibet, à pied et en solitaire. Je projette aussi bientôt de survivre sur une île déserte du Pacifique Sud pendant 6 mois, sans aucun outil quel qu’il soit, ni aucune aide extérieure. Plus tard j’ai vraiment envie de retrouver des chiens nordiques et traverser le grand nord en traîneau, le Groenland, le Canada…
E : Ce qui me pousse à partir, c’est tout simplement l’envie de découvrir des mondes où l’Homme n’a pas encore laissé sa marque, dans lesquels la nature est demeurée sauvage. La recherche du beau, l’amour du voyage. Je pars aussi parce que ce que la vie en ville ne me satisfait pas véritablement et que c’est seulement hors de la civilisation que je ressens de l’absolu. Cela me rend heureux.
Ce qui m’a poussé à partir spécifiquement en Mongolie, c’est la possibilité de voyager à cheval.
E : Je suis parti le 1er Juin, seul avec mon sac à dos de 15kilos. Après 37heures de vol, j’arrivai à Oulan-Bator avec un objectif : m’acheter un cheval. J’ai trouvé mon cheval après plusieurs jours de négociations et de recherches, et je suis enfin parti dans la steppe avec l’intention d’atteindre la porte du désert — 45 jours plus tard et 900 kilomètres plus loin.
E : J’ai dû monter sur un cheval deux ou trois fois quand j’étais enfant, j’ai le souvenir d’avoir été un piètre cavalier à l’époque, et en arrivant en Mongolie, cela devait faire plus de 10 ans que je n’étais pas monté à cheval. D’ailleurs, ça a donné lieu à des scènes assez comiques parce que lorsque j’essayais d’acheter un cheval, je disais à tous les éleveurs que je connaissais très bien cet animal et que j’étais un expert en la matière, pour qu’ils me prennent au sérieux et évitent de m’arnaquer.
Je regardais la dentition, parce que j’avais lu que c’était important pour voir l’état d’un cheval, je tournais autour avec un air sérieux. J’essayais d’être le plus à l’aise possible, mais les chevaux mongols sont extrêmement peureux et sauvages, ils peuvent donc se mettre à donner des coups de talons si une mouche apparaît soudainement dans leur champ de vision… Autant dire que je transpirais pas mal.
Et puis, le fameux moment où j’ai dû essayer mon cheval est arrivé. J’ai mis un premier pied tremblant sur l’étrier, et j’ai sauté sur son dos. À ce moment-là, les 4 paires d’yeux de la famille sont braqués sur moi, je n’ai pas le droit à l’erreur. Je tape du talon et pousse : « Tchou ! », mon cheval part directement au galop comme un malade. Je suis resté pétrifié sur la selle pendant plusieurs secondes, tant la vitesse m’a surpris, puis je me suis rappelé de mon public en train de m’observer et je suis parvenu à bouger les bras, à le faire ralentir, à tourner et à le diriger là où je voulais qu’il aille. Je crois que la famille n’a pas perçu mon amateurisme et, le soir même, je partais avec mon nouveau compagnon.
E : Ce qui m’attire particulièrement chez les peuples nomades, c’est leur autonomie. C’est la sobriété et la frugalité de ce mode de vie, qui rend ces femmes et ces hommes heureux. Du moins, j’en ai eu la vive impression. Ce qui m’a beaucoup étonné, c’est leur capacité à s’adapter, à trouver des solutions. En l’espace de 3 mois, je n’ai jamais vu un nomade inquiet ou abattu face à un problème.
J’ai aimé vivre avec eux parce qu’ils m’ont appris (ou plutôt rappelé) des choses évidentes, des choses fondamentales, qu’on a tendance à oublier très vite lorsqu’on vit en ville. En ville, on oublie l’origine des choses : notre problème, ce n’est pas qu’on ne se sait pas d’où viennent notre nourriture, notre eau, nos vêtements, notre électricité ou les matériaux utilisés pour construire des bâtiments… c’est qu’on ne se le demande même pas. C’est tellement une évidence de voir des magasins remplis de nourriture, des boutiques remplies de vêtements, des gros bâtiments un peu partout, qu’on finit par croire que toutes ces choses-là ont toujours été là, qu’elles ont toujours existé à cette place. On perd le sens de l’origine.
Les nomades, eux, mangent la viande et le lait de leur bétail, ils utilisent la crinière de leurs chevaux pour fabriquer des cordes, la laine de leurs moutons pour confectionner des vêtements et isoler la yourte, les bouses de leurs yaks comme combustible pour se chauffer, l’eau des rivières pour se laver et boire. Ce lien entre les choses qu’on utilise et leur origine me semble important. Savoir d’où viennent les choses incite à en être plus respectueux, car on réalise leur valeur, on fait plus attention. Quand on perd ce sens de l’origine, on tombe très vite dans l’indifférence, on ne réfléchit plus à l’impact de nos actions.
E : Au début c'était un peu difficile, parce que la plupart ne connaissent pas un traître mot d'anglais. J'avais un dictionnaire franco-mongol, mais le plus dur c'était la prononciation des mots, car ils ont dans cette langue des sons très difficiles à produire pour un Européen. Ceci dit, j'ai toujours réussi à me débrouiller, à me faire comprendre. On utilisait beaucoup de signes, des mimes, parfois des dessins… on était obligés de communiquer autrement que par la langue, c'était assez marrant comme expérience. Et puis, j'ai finalement appris pas mal de mots et des phrases. À la fin, je pouvais même tenir de courtes conversations, faire des blagues…
E : [Il rigole] Non, je n’avais pas de chameaux. Par contre, j’en ai croisé pas mal sur mon chemin, parce qu'il y a aussi des nomades dans le désert (beaucoup moins que dans les steppes) qui élèvent des chameaux. Pour le reste, j’ai simplement marché, j’avais juste un caddie avec moi pour transporter un bidon de 20 litres d’eau.
E : En fait, j'ai planifié mon trajet en fonction des points d'eau et des puits. Avec 20 litres, ça me faisait environ 3/4 jours d'autonomie. Pour tirer le caddie, effectivement c’était un peu la galère. Heureusement pour moi, c'est majoritairement un désert de pierre et de terre, les dunes ne représentent en fait qu’une partie spécifique du désert… même si parfois je tombais sur du sable et que je devais traîner le caddie.
Du coup, je n’ai gardé le caddie que sur une partie de la traversée, parce que c'était là où les points d'eau étaient très rares. J’ai fini le dernier tiers du désert sans le caddie, précisément parce qu’il n’y avait ensuite que du sable. Après, la fin de la traversée se faisait dans des montagnes, il y a plus d'eau là-bas.
E : À l’origine, c’est vraiment le fait de voyager à cheval qui m’a poussé à partir en Mongolie. Je ne savais même pas que le désert de Gobi s’étendait jusque dans ce pays, je pensais qu’il se situait uniquement en Chine.
Mais en préparant mon voyage, j’ai réalisé que ce désert constituait en réalité presque la moitié de la Mongolie. Ce n’est pas n’importe quel désert, c’est celui que craignait tant Marco Polo, c’est le désert où l’amplitude thermique est la plus importante : de l’été à l’hiver, la température passe de 50°C à -50°C. C’est l’endroit de tous les extrêmes, c’est presque un mythe. C’est tout cela qui m’a donné très envie de m’y rendre. L’idée de traverser un endroit si impropre à la vie, si inhospitalier, m’a attiré : c’est un peu comme se rendre sur la Lune, sur une autre planète. Cet isolement, ce silence, ce vide que l’on trouve dans le désert… c’est vraiment unique. Il y a peu d’endroits sur terre qui produisent de telles émotions.
Dans le désert, on se sent très vite vulnérable, impuissant, mais c’est aussi très reposant de perdre le contrôle sur son environnement, de n’avoir aucune emprise sur le cours des choses, d’être délivré de tout pouvoir, d’être un peu insignifiant.
Au final, cela rend tout… moins grave.
Pour suivre les aventures d'Eliott, n'hésitez pas de vous rendre sur son site internet, ou encore de le suivre sur sa page Facebook. On ne sait pas pourquoi, mais on pressent qu'il aura très bientôt d'autres aventures complètement dingues à raconter ! En attendant, souhaitons-lui bonne route...