Avant de devenir parent, j’avais déjà quelques amis plutôt proches qui avaient commencé à fonder une famille, et après la naissance de leurs premiers enfants, ils ont un peu soudainement disparu de l’horizon et je ne les ai jamais vraiment revus. J’essayais bien sûr d’appeler de temps en temps, en leur proposant de sortir comme dans le bon vieux temps, des choses que nous avions l’habitude de faire ensemble avant comme prendre un café, déjeuner ensemble, aller boire un verre… La plupart du temps, mon offre était poliment déclinée pour telle ou telle raison, et après quelques tentatives de rester en contact, ça m’a énervé et j’ai laissé tomber.
Je me rappelle avoir pensé, un peu vexé, « Quelle bande de c**nards, ils se foutent comme d’une guigne de leurs amis maintenant qu’ils sont casés ? » Bon, je comprenais bien qu’ils étaient occupés, qu’ils avaient des tas de choses à gérer et que bien sûr, leur famille devait passer avant tout (c’est normal). Mais là ça en devenait carrément ridicule, c’était à peine si je les avais revus depuis, ne serait-ce qu’une seule petite fois.
Puis, quelques années plus tard, ça a été mon tour et j’ai eu moi-même un enfant… et, bien que j’essaye de faire de gros efforts pour passer un peu de temps avec mes amis, je suis quasiment sûr qu’il y a des personnes de mon entourage qui pensent que moi aussi, je les ai un peu oublié.
Alors, pour tous les non-parents qui pensent que je suis devenu un c**nard, voici mes excuses :
Il se trouve en effet que les enfants ont besoin de manger, de boire, de bouger, de faire dodo et de faire caca. Et cela, absolument tous les jours de l’année. J’imagine qu’aucun parent, et plus généralement aucun être humain au monde n’apprécie l’idée de se retrouver avec un gosse déshydraté, qui a faim, qui est fatigué, qui hurle et qui a fait dans son pantalon. Cela signifie en gros que les pause-déjeuner, le café en terrasse de 16 h ou le fait de sortir le soir est très, très difficile à planifier. Oui, parfois on réussit mais la plupart du temps c’est rare et c’est galère, du coup on aurait tendance à réserver cela pour les vacances, ou les occasions très spéciales. Et même si on réussit à le faire et que vous avez l’impression que tout va bien, en général on est en train de paniquer intérieurement en se demandant si notre enfant n’est pas en train de souffrir à cause de notre choix égoïste.
D’ordinaire, les parents parlent de l’emploi du temps de leurs enfants mais en vérité, ils doivent eux aussi avoir un emploi du temps réglé comme une horloge suisse. Avant que les enfants se réveillent, les parents doivent se préparer eux même, prendre le café et préparer le petit déjeuner. En arrivant au travail, notre journée a déjà commencé depuis longtemps en vérité. Pendant que les enfants font la sieste, nous en profitons pour nettoyer la cuisine ou plier le linge…. Bref je vous la fais courte, à la fin on est complètement lessivés. Si nous passons du temps avec vous en dehors de ce planning digne d’un marathon, particulièrement au cours de la soirée, considérez cela comme un énorme compliment parce que ça demande énormément d’efforts. Le lendemain, nous devrons quand-même nous réveiller à l’heure habituelle quoi qu’il advienne.
Et tout particulièrement si nous travaillons en dehors de la maison, nous avons la sensation permanente que le temps que nous avons à leur consacrer pour les loisirs est très, très limité. Sortir avec vous un soir pourrait signifier ne pas voir du tout notre enfant de toute la journée. Sortir avec vous le weekend pourrait signifier ne pas voir notre enfant pendant 80% de la semaine. Des activités qui vous paraissent nulles comme empiler des blocs de plastique ou chanter des comptines, pousser un petit sur une balançoire ou même manger un repas avec nos enfants sont devenus pour nous des moments très précieux, des moments qui donnent du sens à notre vie. Même si vous nous voyez avec notre enfant et qu’il a l’air parfaitement chiant et ennuyeux parce qu’il pleure toutes les cinq minutes, qu’il saute de partout ou qu’il hurle comme une espèce de singe démoniaque, à la maison il y a plus de choses que vous imaginez qui nous font sourire ou rire aux éclats. Je sais que c’est dur à concevoir, mais c’est la vérité.
Même si nous apprécions énormément ces moments avec eux, nous voulons vraiment et sincèrement vous voir, vous aussi. Vraiment beaucoup. Même comme ça, nous refusons souvent vos invitations pour faire des trucs cool, pas parce que ça ne nous paraît pas cool en soi, mais parce qu’on sait bien que pour nous ça ne sera pas vraiment marrant. Ce n’est pas parce que VOUS n’êtes pas marrants. Vous êtes géniaux. (Vous m’entendez ? On pense vraiment cela de vous, même si on ne vous le dit probablement pas assez.) C’est simple, on ne peut pas vraiment profiter du truc quand on doit en même temps garder un œil sur nos enfants, nous assurer qu’ils ne sont pas en train de s’étouffer, de se noyer, ou bien de s’ouvrir le crâne sur un coin de table. Nous passons beaucoup plus de temps et d’énergie à nous inquiéter du fait que la chair de notre chair reste bien en vie que vous n’imaginez. Souvent, nous organisons des trucs auxquels vous ne serez pas invités. Encore une fois, ce n’est pas parce que vous n’êtes pas marrants — c’est juste que cela ne serait pas très marrant pour vous, et pour la plupart des grandes personnes. Ces évènements sont en général très bruyants, bizarres, et stratégiquement situés dans des endroits ouverts et bien dégagés pour que les bambins puissent courir partout en hurlant comme des déchaînés, ce qui nous permet de laisser le Xanax à la maison puisque nous n’avons pas normalement à craindre de mort par fracture ouverte de crâne. Aussi, le bar ne sert que des bonbons et du Champomy.
Ce qui veut dire que nous devons nous-mêmes rentrer très tôt le soir pour les coucher. C’est facile pour vous de les regarder et de dire « Oh, mais regarde-le, il a pas l’air du tout fatigué ! » — vous avez parfaitement raison. C’est pour ça qu’on s’en va vite MAINTENANT, avant qu’ils ne s’endorment d’un coup sur place et/ou qu’ils se mettent à hurler comme des dingues. Croyez-moi, ce n’est pas une sinécure que de devoir traîner un enfant récalcitrant et à moitié dans les vapes jusqu’à son lit. Nous pouvons ressentir les signes avant-coureurs de la fatigue avant vous, tout comme certains animaux ont cet instinct qui leur fait sentir les tremblements de terre avant même que ces derniers n’aient lieu.
Avoir le temps de se reposer, de se ressourcer et de faire les activités qui nous plaisent est parfois si dur qu'on a l’impression de ne pas vivre du tout. Je n’invente rien : même le simple fait d’aller chez le coiffeur se faire couper les cheveux requiert une grande créativité quant à la gestion de notre emploi du temps.
Oui, nous aussi on a besoin de fainéanter un peu, même si cela peut paraître contradictoire avec tout ce que j’ai dit précédemment : il y a une dose de fainéantise et de repos qui est humainement nécessaire à la survie, on ne peut pas être à bloc toute la journée sinon on ne fait pas de vieux os. Imaginez-vous la chose : nous passons tellement de temps à nettoyer, à porter, à essuyer, à courir, à les écouter, à les raisonner que parfois nous avons juste besoin de nous asseoir dans un endroit tranquille et calme pour 10, 30 ou 120 minutes d’affilée. C’est nécessaire pour notre bonne santé mentale, et pour celle de ceux qui nous côtoient. S’il vous plaît, ne nous privez pas de ce temps-là qui nous est précieux afin de recharger nos batteries. Oui, peut-être que mes amis verront que j’ai joué à Candy Crush à 22h15 alors même que je leur avais dit que je ne pouvais pas sortir… Ne voyez pas cela comme une excuse, ni comme un signe que je suis capable de faire plein d’activités complètement folles avec vous au lieu de rester seul. En fait, cela fait probablement quelques heures que je suis en pyjama avec zéro énergie et que j’ai juste besoin de me vider un peu la tête.
Gardez en tête que nous ne vous en voulons pas, la preuve moi aussi j’ai réagi exactement comme vous avant de le vivre. On ne se plaint pas non plus de notre choix de devenir parents. Nous sommes heureux, très heureux, mais croyez-le ou non vous nous manquez aussi. Et nous savons aussi que nous ne vous le disons pas, en tout cas pas assez.
Ne nous laissez pas tomber, ne nous tournez pas le dos pour autant — nous referons surface et émergeront bientôt de nouveau dans notre plus grande splendeur… Une fois que les conditions seront propices et que la petite enfance sera passée.
En attendant, dites-nous si ça vous branche de passer à la maison vers 7heures du matin pour prendre le petit-déjeuner ensemble. C’est à ce moment-là que nous sommes le plus en forme !