Atteindre les 100 % d'agriculture biologique d'ici quelques années, et réussir à nourrir en prime une population humaine grandissant de plus en plus vite : un doux rêve ? Non : un projet non seulement réalisable mais aussi nécessaire, affirment des chercheurs dans une étude récente, publiée par la revue Nature Communications. Selon eux, l'humanité pourrait tout à fait subsister en se nourrissant exclusivement d'aliments sains et produits dans le respect de l'environnement... à condition de parvenir à se débarrasser du gaspillage alimentaire, ainsi que de consentir à limiter sa consommation de viande, surtout dans les pays développés.
Des champs cultivés en agriculture biologique dans la province de Chaingmai, Thaïlande / Shutterstock
Lorsqu'on parle de l'agriculture biologique, c'est toujours un peu la même rengaine qui ressort : c'est bien beau et bien gentil, mais soyons réalistes deux minutes, on ne va pas nourrir l'humanité avec ça. Certes, comparé à cette agriculture que l'on appelle « conventionnelle » parce qu'elle est encore pratiquée par une écrasante majorité des producteurs mondiaux, le « bio » ne comporte pratiquement que des avantages : cultivés sans engrais et pesticides chimiques nocifs, les produits sont à la fois plus respectueux de l'environnement ET du consommateur.
Oui, mais voilà : ces intrants chimiques sont tout de même bien pratiques... et pour s'en priver, il faut accepter d'en payer le prix. Concrètement, une production moins abondante, davantage de travail d'entretien, ainsi que le risque d'être plus vulnérable à certains ravageurs, maladies et autres aléas de la nature. C'est pourquoi les producteurs bios ont tendance à valoriser leurs produits et à les vendre à des prix plus élevés afin de tirer leur épingle du jeu (non sans que les grandes surfaces ne prennent une copieuse part du gâteau, mais c'est un autre débat). Résultat, aujourd'hui, seul 1 % de la surface agricole utile dans le monde est cultivée en agriculture biologique.
Bref : le bio, c'est très bien pour nos sociétés occidentales développées... mais à part quelques hippies utopistes et autres doux rêveurs, c'est folie que de croire que l'on va régler le problème de la faim dans le monde avec ça !
Oui mais.... et si, au contraire, on arrivait à nourrir la planète à base de produits bio ? Si ces derniers n'étaient plus seulement accessibles à une poignée de privilégiés occidentaux... mais qu'au contraire, l'accès à une alimentation saine et respectueuse de l'environnement devenait la norme ? Parce que c'est vrai, quand on y réfléchit : avoir le droit de se nourrir convenablement et sans absorber des produits nocifs devrait être simplement normal... non ?
Sottises, répondront les détracteurs du bio : avec la démographie qui ne cesse de grimper en flèche, il nous faut au contraire des techniques optimisées pour produire un maximum d'aliments avec un minimum de ressources, si l'on veut espérer nourrir 9 milliards d'humains d'ici 2050. Et pourtant, c'est la thèse qui est soutenue par un groupe de chercheurs européens, dans une nouvelle étude publiée par la revue Nature Communications, mardi 14 novembre. Non seulement les scientifiques suggèrent que cela serait largement possible, mais ils avancent qu'il s'agirait d'une transition cruciale et nécessaire pour le monde.
Mais comment ? Comme on peut s'en douter, on n'obtient rien sans rien. Pour les chercheurs, il serait possible d'atteindre les 100 % d’agriculture biologique... si l'on se plie à deux conditions, non négociables : réduire le gaspillage alimentaire et limiter la consommation de produits d’origine animale. Et ce, sans hausse de la superficie de terres agricoles et avec des émissions de gaz à effet de serre réduites. L'objectif, s'il est réalisable, est cependant loin d'être gagné et nécessitera donc que les pays du monde entier travaillent ensemble, et consentent à faire de gros efforts communs.
Christian Schader, l’un des coauteurs de l’étude, explique : « Un des enjeux cruciaux est aujourd’hui de trouver des solutions pour basculer dans un système alimentaire durable, sans produits chimiques dangereux pour la santé et l’environnement. Or, cette transformation inclut une réflexion sur nos habitudes alimentaires et pas seulement sur les modes de production ou sur les rendements. »
Si l'on se conforme au modèle actuel, pour nourrir les 9 milliards d'humains qui peupleront la Terre en 2050, la production agricole devra encore augmenter de moitié, prévoit l'ONU. Or, le monde a déjà connu une forte intensification des activités agricoles au cours des dernières décennies, qui ne s'est pas faite sans graves conséquences sur l'environnement.
Ce qui veut dire, en gros, que l'humanité va se retrouver confrontée à un choix... et que les conséquences de ce choix risquent de déterminer beaucoup de choses pour son futur : soit elle conserve le modèle actuel, auquel cas elle va devoir se résigner à sacrifier son environnement pour produire davantage... soit elle va devoir remettre en cause le modèle agricole qui est aujourd’hui qualifié de « conventionnel ».
Aujourd'hui, on estime que près de 30% des aliments produits sont perdus à cause du gaspillage alimentaire, avant même d'arriver au consommateur... soit 1,3 milliard de tonnes gaspillées par an. L'ensemble des consommateurs des pays industrialisés jette 222 millions de tonnes... soit l'équivalent de la production alimentaire nette de toute l'Afrique subsaharienne (230 millions de tonnes) !
De plus, un tiers des terres cultivables de la planète sont utilisées pour produire du soja, du maïs ou du blé pour nourrir les animaux d’élevage. Or, les habitants des pays développés n'ont jamais consommé autant de viande qu'actuellement : ils en mangent à presque tous les repas, chose qui était loin d'être le cas il y a seulement quelques générations en arrière !
Des chiffres qui ont le mérite de nous interpeller, en tout cas. Pour ceux qui souhaiteraient en savoir plus et lire l'étude (en anglais) qui explique comment l'objectif de 100% agriculture biologique est atteignable, elle est consultable ici.