Pourquoi il faut apprendre aux enfants à s'excuser... les conséquences d'une excuse peuvent aller bien plus loin que ce qu'on peut penser !

Pourquoi s’excuse-t-on, et surtout, à quoi cela sert-il concrètement ?


Certes, on serait tenté de répondre à cette question par la simplicité, en disant que c’est une question évidente de politesse… mais ce que nous appelons la politesse n’est que le respect de certaines conventions sociales, qui sont loin d’être universelles : dans certaines sociétés, des actions particulières sont considérées comme fortement impolies, alors que d’autres non. Ainsi, au Japon, faire de grands bruits en mangeant sa soupe est considéré comme un signe de respect envers le chef, alors que se moucher en public est considéré comme la pire des impolitesses.

Pourtant, on trouve ancré dans toutes les sociétés humaines, qu'importe la culture, des comportements qui permettent de s’excuser, de conjurer la tension provoquée lorsqu’on a indûment causé du tort à une autre personne… Cela nous laisse penser que le pardon n’est pas qu’une question de politesse, puisqu’il est universel. Au contraire, cela représente quelque chose de bien plus important, de bien plus profond que le simple respect des conventions et des bonnes mœurs !

C’est en tout cas ce que pense Craig Smith, chercheur en psychologie à l'université du Michigan (États-Unis). Dans une tribune au Point, il explique que les excuses « sont souvent salutaires : elles peuvent éviter de subir des représailles, amener à pardonner le fauteur de troubles, voire à éprouver de l'empathie pour lui ; et elles peuvent aussi mener à restaurer la confiance qui a été mise en péril. »

Outre ces effets sociaux, le chercheur affirme que le fait de s’excuser sincèrement aurait même un effet physiologique notable, et ferait baisser la tension artérielle… en particulier chez les personnes plus colériques.

@DR


S’excuser est donc un comportement social très important — et pourtant, pas tout le monde ne sait s’excuser (ou pardonner) avec la même facilité ! Ainsi, vous vous êtes probablement déjà retrouvé dans une situation où vous vous êtes senti(e) lésé(e) de ne pas recevoir des excuses pourtant bien méritées, ou au contraire, où vous avez eu du mal à dire vos excuses et à reconnaître vos torts. Parfois, il semble que « pardon » soit un mot qui nous écorche la bouche…

C’est parce que le fait de s’excuser est une compétence qui s’apprend, et que l’on acquiert avant tout par l’éducation.


Selon Craig Smith, c’est très tôt, plus précisément dès l’âge de 4 ans, que les enfants commencent à saisir les implications émotionnelles d’une excuse ; par exemple, aider la personne contrariée à se sentir mieux, se réconcilier avec quelqu’un, ou même réduire son propre sentiment de culpabilité lorsqu’on sait qu’on a fait une bêtise. De même, le véritable impact des excuses sur le comportement des enfants a déjà été largement étudié. Les études démontrent que, lorsqu’un enfant cause du tort aux autres puis qu’il s’excuse, il sera considéré comme plus gentil, et comme étant un meilleur compagnon de jeu, que s’il ne s’excuse pas !

Une autre expérience, citée par Smith, pose le problème suivant : Une personne vient donner un coup de pied dans la tour que les enfants construisent, ce qui leur cause évidemment un stress important. Certains enfants reçoivent des excuses, tandis que d’autres non. Dans les deux cas, les enfants sont toujours aussi contrariés, et les excuses n’ont pas réduit leur colère ni leur frustration… Par contre, les enfants ayant reçu les excuses seront plus prompts à bien vouloir partager ensuite leurs autocollants avec la personne ayant renversé la tour, que ceux qui auront été privés d’excuses !
 

@DR


Cela démontre que, même si le sentiment négatif de colère ou de tristesse causé par la destruction de la tour reste bien présent, les excuses amènent les enfants à accomplir un autre geste en retour : celui du pardon.

Mais, pour que les enfants se sentent vraiment mieux après la destruction de la tour, il faudrait que la personne coupable de la destruction propose de les aider à reconstruire la tour. « Ce qui compte aux yeux des enfants, c'est à la fois l'expression des remords et l'action réparatrice, » explique Smith.

Pourtant, pas tout le monde ne s’accorde à dire qu’apprendre aux enfants à s’excuser a du sens d’un point de vue éducationnel. Pour certains, les enfants en bas âge ne comprennent pas ce qu’implique socialement l’excuse, et les forcer à s’excuser est inutile — ce qui est faux, car l’enfant est doué très tôt d’une grande empathie. D’aures mettent même en avant les caractéristiques « négatives » du fait de s’excuser, qui apparaîtrait comme une sorte de punition, et pourrait porter atteinte à l’estime de soi.

Alors, quelle place accorder à l’excuse et au pardon dans l’éducation des enfants ?


C’est cette problématique qu’a voulu étudier Craig Smith, dans une enquête qu’il a conduit en compagnie d’autres chercheurs, et qui analysait un groupe d’environ 500 parents d’enfants âgés de 3 à 10 ans, aux opinions divergentes en matière d’éducation.
Chaque parent devait s’imaginer que leur enfant transgressait une règle qui, à leurs yeux, était importante, puis les chercheurs ont cherché à savoir si, dans différents scénarios, les parents allaient pousser leurs enfants à s’excuser. Enfin, il a été demandé aux parents de donner leur vision globale de l’éducation, et d’évaluer l’importance que représentait pour eux le fait que leur enfant apprenne à s’excuser.

Selon Smith : « La plupart des parents (96 %) pensent qu'il est important que leurs enfants apprennent à s'excuser après un incident au cours duquel ils ont contrarié quelqu'un en le faisant exprès. Par ailleurs, 88 % des parents considèrent qu'il est important que leur enfant apprenne à s'excuser après avoir contrarié quelqu'un sans le faire exprès. Pour moins de 5 % des parents, les excuses ne sont que de vains mots. Mais même ces parents réticents restent sensibles au contexte dans lequel s'est produit l'incident. »

Une autre découverte intéressante de l’étude était que les parents avaient surtout tendance à demander aux enfants de s’excuser lorsqu’ils enfreignaient des règles morales impliquant notamment des valeurs de justice et de droit, intentionnellement ou non (par exemple, si l’enfant vole quelque chose ou frappe un camarade)
Par contre, si l'enfant transgresse une simple convention sociale, comme des règles de politesse (interrompre une conversation, tricher, manger la bouche ouverte), les excuses sont considérées comme étant moins importantes.

Mais alors, pourquoi les parents sont-ils enclins à demander aux enfants de s’excuser aussi bien lorsqu’ils n’ont pas fait exprès de contrarier autrui, que lorsque la faut est volontaire ? Car on pourrait — logiquement — se dire que, pour que l’excuse soit sincère, il faut que la faute commise au départ soit volontaire.

@DR


Ce comportement prouve, selon Smith, que ce qui compte avant tout pour la plupart des parents, ce sont les conséquences éventuelles des bêtises de leurs enfants ! La preuve, c’est que les parents sont plus enclins à exiger des excuses de leur enfant s’ils ont fait du tort à un autre enfant (plus qu’avec un adulte), car ils savent que cela lui permettra de se réconcilier avec son camarade. Ainsi, s’excuser permet à l’enfant d’apprendre à gérer des situations sociales conflictuelles tout en réduisant les conséquences de ses fautes, quelle que soit son intention de départ, ni le fait que l’excuse soit sincère ou simplement proférée par convention.

Quand et comment faut-il enseigner aux enfants à s’excuser ? Pour Smith, le plus important serait peut-être de savoir… si les excuses de l’enfant sont sincères ou non, et surtout, s’il le fait sous la contrainte ou de son plein gré.

En effet, une étude prouve que lorsque les parents obligeaient les enfants à présenter leurs excuses, seuls 22% des enfants pensent que cela peut aider la victime à se sentir mieux, contre 90% si les excuses sont délivrées de façon volontaire, avec une simple incitation de la part des parents !

Donc, au lieu de forcer les enfants à s’excuser (« Excuse-toi immédiatement ! ») il vaudrait mieux privilégier la discussion en pointant du doigt l’aspect réparateur et bénéfique de cette démarche pour la « victime », afin que l’enfant veuille s’excuser de lui-même, par empathie (« Tu devrais t’excuser, regarde, il est triste »)

@DR


Mais toujours, il faut se souvenir qu’il est globalement inefficace de pousser un enfant à s’excuser s’il n’est pas prêt à le faire, ou s’il ne ressent simplement pas de remords et qu’il pense être dans son bon droit. Dans un tel cas, plutôt que de forcer un petit qui n’a pas envie de s’excuser, il vaut mieux lui expliquer pourquoi ce qu’il a fait est mal, avant de suggérer de se faire pardonner comme manière de réparer la faute.


Ce genre d’approche, quand on y réfléchit, est quand-même beaucoup plus constructive… Non ?



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Journaliste