Entretien aujourd’hui avec une entrepreneure aussi déterminée qu’ambitieuse, dont rien ne saurait entamer la motivation.
Poursuite de notre immersion dans les start-up, à la découverte de ces visages qui incarnent la nouvelle et ambitieuse génération d’entrepreneurs français, avec un focus aujourd’hui sur Sarah Mougharbel.
Co-fondatrice d’un prototype de lunettes connectées - qui pourrait révolutionner à l’avenir le quotidien de certaines personnes paralysées - la jeune femme âgée de 25 ans a accepté de jouer le jeu en répondant volontiers à nos questions.
De ses rêves d’étudiantes à la concrétisation de son projet, cette véritable touche-à-tout se raconte avec un enthousiasme communicatif.
Bonjour Sarah, ma première question est plutôt basique mais ô combien nécessaire pour bien cerner la personne que vous êtes et l’entrepreneure que vous souhaitez devenir. Quel fut votre parcours avant de vous lancer ?
En général, quand on me pose cette question sur mon parcours, j’ai tendance à revenir à l’époque du lycée parce que je pense que beaucoup de jeunes, surtout aujourd’hui, peuvent s’identifier à la réflexion que j’ai pu avoir à cette époque…
… c’est-à-dire ?
Pour faire simple, je faisais partie des élèves hantés par la question « quel métier voulez-vous faire plus tard ? ».
Non pas que je n’en avais aucune idée mais plutôt parce que je voulais… tout faire !
Si j’avais eu le choix, j’aurais fait astronaute, chef cuisinière et vétérinaire à la fois ! On m’a alors répondu qu’il fallait « choisir » ou « grandir » et quand je disais que ce que je voulais réellement faire, c’était changer le monde, on me répondait que ça n’était « pas un métier ».
Or, aujourd’hui pour moi, le fait d’être entrepreneure, c’est justement le fait de pouvoir changer le monde mais, à l’époque, on ne me l’a jamais proposé ou conseillé, certainement parce qu’il n’existe pas d’études spécifiques pour le devenir.
Mais il fallait pourtant faire un choix, quel fut le vôtre ?
Quand j’ai dû choisir un parcours académique en terminale, j’ai d’abord essayé de me faire ma propre définition, définir ce qui me correspondrait.
Je savais que j’étais passionnée de linguistique depuis toujours et je savais aussi que j’avais soif de logique et de mathématiques théoriques. Donc le double cursus Linguistique-Informatique (proposé par la Sorbonne et l’Université Pierre et Marie Curie) me semblait couler de source.
Mais d’un autre côté, connaissant ma manière de réfléchir et ce que je voulais concrétiser après mes études, je savais que j’étais une ingénieure dans l’âme.
J’ai donc également candidaté à l’École Centrale d’Électronique de Paris (ECE Paris) pour pouvoir démarrer un cursus d’ingénieur directement après le bac.
Une fois acceptée dans les deux parcours (le double cursus et l’école d’ingénieur), j’ai vite compris que ma passion pour la théorie n’était rien si je n’avais pas l’opportunité de la concrétiser par la pratique. J’ai donc décidé de me lancer dans les deux cursus, ou plutôt les trois.
Tout un programme ! Après les études, la suite logique, c’était donc la concrétisation d’un projet, votre start-up ! Pouvez-vous nous la présenter en quelques mots ?
Elle s’appelle WYES (« When You Eyes Speak », « Quand vos yeux parlent » ndlr) et propose une paire de lunettes connectées qui permet aux personnes « enfermées dans leurs corps » (souffrant de paralysie et autres pathologies) de s’exprimer grâce aux clignements de leurs yeux.
Le but étant bien sûr de leur permettre de retrouver un moyen de communiquer avec leurs proches et le personnel médical, mais aussi et surtout de retrouver leur place au sein de la société grâce à la parole.
Pourquoi avoir choisi cette voie ?
Tout simplement parce que c’était une évidence ! J’étais sur le point d’être diplômée et avec mon équipe de travail, on avait ce prototype qui était prêt, qui marchait et qui était sur le point d’être breveté.
Deux choix s’offraient alors à moi : j’avais d’un côté les patients (avec lesquels on avait travaillé pour concevoir ce petit bijou de technologie) qui attendaient que le projet se concrétise. Et, de l’autre, la possibilité d’avoir une bonne note, d’être diplômée et de passer à autre chose.
Donc, plus que le choix d’entreprendre, j’ai surtout fait le choix de WYES. Tant que les patients ne seront pas tous équipés, tant qu’ils n’auront pas tous récupéré la capacité de s’exprimer, je continuerai.
On vous sent extrêmement motivée et passionnée, comme si rien ne pouvait vous arrêter. Il en a toujours été ainsi ? N’avez-vous pas, par exemple, rencontré des difficultés durant le processus de création de start-up ?
Pour le processus en lui-même, honnêtement non ! Tout a été simple et d’ailleurs, tout est prévu dans les démarches pour donner libre cours à la spontanéité des entrepreneurs. Aujourd’hui, on peut littéralement se lancer du jour au lendemain.
En ce qui nous concerne, on a cherché à bien s’entourer dès le départ, donc notre décision de savoir quand et comment se lancer était réfléchie.
On a d'abord commencé avec l’Incubateur de l’INSEEC, directement sur le campus au sein duquel a germé notre idée, puis on a intégré notre maison de coeur : l’Incubateur Paris-Dauphine, où le suivi et l’équipe sont réellement formidables.
Peu de temps après, on a intégré en parallèle l’accélérateur Créo qui nous a donné accès à la fois à une formation approfondie ainsi qu'à une communauté solide et, enfin, on a rejoint le Schoolab dont l’approche est ultra-dynamique et stratégiquement orientée sur le marché.
Mais les premiers à avoir misé sur notre réussite, ceux qui nous ont donné de l’élan pour démarrer de manière concrète, ce sont sans aucun doute les personnes de Bpifrance, notamment grâce au Prix Pépite, dont nous avons été lauréats au niveau régional et national en 2019.
Si l'on en croit votre expérience, diriez-vous que toutes les conditions sont réunies dans le pays pour inciter un maximum de jeunes à se lancer dans l’entreprenariat ?
Je dirais en effet que beaucoup de conditions sont réunies en France pour encourager les jeunes à se lancer. Encore une fois, tout est simple, tout est rapide, il y a énormément d’aides.
Ce qui est agréable en France, c’est qu’on a compris que la jeunesse avait soif d’innovation, souvent d’innovation durable d’ailleurs, et c’est la raison pour laquelle on nous écoute !
En revanche, je pense que malheureusement toutes les conditions ne sont pas réunies pour permettre aux jeunes d’affronter cette épreuve sur la durée. On est vite rattrapé par la réalité des charges et impôts à payer, qui sont relativement élevés en France.
Donc, pour garantir la viabilité de son entreprise et concrétiser son projet, il faut être prêt à manger des pâtes tous les jours pendant un bon bout de temps (rires).
C’est un choix de vie!
Un choix qui apporte son lot de doute. Des incertitudes qui n’ont pas dû s’arranger pour de nombreux entrepreneurs, avec la crise sanitaire que l’on traverse depuis près d’un an. Qu’en est-il pour vous? Quel est l’impact de l’épidémie de Covid-19 sur votre start-up ?
Concrètement ? du retard, notamment au niveau de la production. Mais le plus impactant pendant cette crise, c’était de ne plus pouvoir voir les patients avec lesquels on a travaillé.
Dans la mesure où on accompagne des personnes vulnérables, il était hors de question de les exposer de quelque manière que ce soit. Certains étaient même isolés de leurs conjoints et du reste de leur famille en séjournant à l’hôpital. Et l’isolement, ça a été le plus dur!
Sur le plan pratique, le fait de ne pas pouvoir être avec les patients, ça signifiait également pour nous de ne pas pouvoir faire de tests pendant une très longue période. Et bien que nous ayons continué le développement de notre côté, ça nous a considérablement ralenti dans la validation de nos résultats.
Quels sont vos objectifs à court terme ?
Des tests, des tests et encore des tests !
On est en train de produire une nouvelle version de notre prototype, destinée à faire tester le dispositif à plus grande échelle, notamment dans toute la France.
Elle devrait arriver d’ici fin janvier au plus tard, enfin on croise les doigts !
L’idée, c’est de valider le concept de cette version et de mieux orienter le développement de la prochaine génération de lunettes qui, elle, sera la première version commercialisée.
Pour la sortir, on va lancer un crowfunding d’ici mars pour permettre aux patients et aux familles de les précommander. On espère qu’elles seront prêtes d’ici Noël 2021.
C’est tout ce que l’on vous souhaite ! Pour finir, auriez-vous un conseil pour de jeunes actifs qui hésitent à se lancer ?
J’aurais tendance à leur dire : foncez ! Surtout quand on est jeunes, c’est vraiment le moment de vivre sa passion.
Au pire, vous aurez vécu, vous aurez vibré, vous aurez appris; au mieux, vous pourrez continuer !
Si toi aussi tu as l’envie d’entreprendre, rendez-vous sur Bpifrance Création.