Peut-on reprendre une distinction attribuée par le passé ? La question se pose au Myanmar, anciennement connu sous le nom de Birmanie, où Aung San Suu Kyi, 72 ans, actuelle dirigeante du gouvernement civil et Prix Nobel de la paix en 1991, s’est vu retirer son prix attribué pour son combat contre la dictature et en faveur des libertés par le Musée de l’Holocauste de Washington à cause de son inaction dans la crise des Rohingyas, qualifiée par l’ONU d’« épuration ethnique ».
Aung San Suu Kyi à Prague, le 17 septembre 2013. Crédit photo : Nadezda Murmakova / Shutterstock
Quelle tombée en disgrâce médiatique que celle que vit actuellement Aung San Suu Kyi. Faite commandeur de l’Ordre de la Légion d’Honneur française en 2012, année où elle a également reçu son Prix Nobel de la paix pourtant décerné en 1991, récompensée de la médaille présidentielle de la Liberté par les États-Unis en 2000 : la liste des distinctions reçues par cette icône de la paix est aussi longue que glorieuse. Figure d’opposition pacifiste à la dictature militaire du Myanmar par excellence, sa réputation est entachée aux yeux du monde depuis deux ans par sa passivité quant au sort des Rohingyas à l’intérieur des frontières birmanes.
On parle en effet de « massacre de masse », d’« épuration ethnique », et pourtant Aung San Suu Kyi reste enfermée dans sa passivité, alors qu'une autre Prix Nobel de la paix, Malala Yousafzai, âgée aujourd'hui de 20 ans, pointe du doigt son inaction. Les Rohingyas constituent un groupe ethnique musulman, apatride depuis 1982, date à laquelle la nationalité birmane leur a été retirée, installé au Myanmar mais qui fuit de plus en plus vers le Bangladesh pour échapper aux violences infligées par l’armée qui prétend ne combattre que des terroristes ou des miliciens armés.
640 000 Rohingyas auraient déjà fui vers le Bangladesh. Le Figaro rapportait en décembre dernier qu’au moins 6700 Rohingyas avaient été tués entre juillet et août 2017, dont un minimum de 730 enfants âgés de moins de cinq ans.
La passivité d’Aung San Suu Kyi, qu’elle tient à justifier par la complexité du Myanmar, peut s’expliquer par sa peur de s’attirer les foudres de la partie bouddhiste du pays, majoritaire, ainsi que de l’armée. Le prix décerné par le Musée de l’Holocauste de Washington n’est pas la première distinction à lui être retirée. Les clés de la ville d’Oxford lui ont déjà été retirées à l’unanimité, le St Hugh’s College d'Oxford où elle a étudié a décroché son portrait, qui trônait sur ses illustres murs depuis longtemps en son honneur, et l’une des chaires de l’Université Catholique de Louvain qui portait auparavant son nom a été rebaptisée.
L’agence Associated Press a contacté le président du Comité Nobel en lui demandant s’il était envisagé de retirer également le Prix Nobel de la paix à Aung San Suu Kyi. Celui-ci a répondu par la négative, en expliquant qu’il était impossible de destituer un lauréat du prix Nobel.
En attendant, le monde continue d’espérer une amélioration de la situation des Rohingyas, victimes de persécutions qui ne semblent pas près de s’arrêter, et contre lesquelles Aung San Suu Kyi n’agit toujours pas, par peur d’une erreur politique irréversible dans un contexte des plus complexes.