Cela ressemble à des sacs plastiques, bardés de tubes et de tuyaux dans lesquels transitent différents fluides. À l'intérieur, nageant dans un liquide transparent, un fœtus continue à se développer, par l'intermédiaire d'un cordon ombilical de synthèse. Semaine après semaine, à travers la paroi transparente, on voit le fœtus se développer, exactement comme il le ferait au sein du ventre de sa mère. Son cerveau se développe, ses poumons se forment, il commence à bouger puis à ouvrir les yeux… Bientôt, il sera prêt à sortir.
Vous pensez nager en pleine science-fiction ? Détrompez-vous : une telle technique existe déjà, et elle vient même d'être expérimentée avec succès, pour la première fois, par des chirurgiens d'un hôpital de Philadelphie… avec des fœtus d'agneaux ! Condamnés par une grossesse interrompue, ils ont pu poursuivre leur développement à l'extérieur du ventre de leur mère, jusqu'à atteindre le stade d'animaux viables. En l'espace de quelques semaines, des animaux nés prématurément ont pu ainsi être sauvés, en poursuivant leur développement à l'extérieur de l'utérus. Et les humains pourraient être la prochaine étape.
Effrayant ? Oui… et non, car le développement de cette technique pourrait aussi être porteur de grands espoirs pour sauver les bébés nés prématurément, ou pour surmonter les difficultés de grossesse et donner une chance aux enfants mort-nés.
Un espoir pour les bébés prématurés, ou la menace d'un univers cauchemardesque à la « Brave New World » ?
Les chercheurs ont publié mardi dernier, dans le journal spécialisé Nature Communications, les résultats positifs de leurs expérimentations sur cette technique, qu'ils ont baptisé le « Biobag ». Une annonce qui a retenti comme un véritable coup de tonnerre au sein de la communauté scientifique, et qui a provoqué des réactions très partagées au sein de l'opinion publique.
En effet, un tel procédé ne manque pas de nous rappeler avec horreur la fameuse saga de science-fiction « Matrix », dans lesquels les êtres humains se développent dans des environnements de synthèse, ou encore de nous renvoyer à l'univers dystopique décrit par Aldous Huxley dans « Le Meilleur des Mondes », ouvrage de référence de la littérature d'anticipation. Il faut dire que nous pouvons être légitimement inquiets des dérives potentielles de la méthode, puisqu'on touche là à ce qu'il y a de plus sacré : la maternité.
Cependant, gardons-nous de porter un jugement hâtif sur le potentiel développement de cette technique. En effet, Alan Flake, l'expert en chirurgie fœtale ayant conduit les travaux, indique que les connaissances actuelles sont encore très loin de permettre aux scientifiques le développement intégral d'un embryon jusqu'au stade d'individu viable (et que ce n'est de toute façon pas leur but) : « Ce serait de la pure science-fiction que d'imaginer que l'on puisse prendre un embryon et lui faire passer les premières étapes cruciales du processus de développement, en le mettant dans une machine, sans que la mère ne soit l'élément critique de ce développement ».
Autrement dit, ce n'est pas demain la veille que l'on sera capable de supprimer totalement l'étape de la grossesse, en « cultivant » des fœtus dans des environnements de synthèse — et heureusement ! Au contraire, indiquent les chercheurs, le but du développement de cette technique n'est pas de supplanter totalement le rôle de la mère, mais de prendre le relais en cas de problème. Il s'agit de sauver les bébés nés quelques mois trop tôt, en leur donnant un environnement qui simule le confort d'un utérus, afin qu'ils puissent y terminer leur développement.
Même si le Biobag ne ressemble pas beaucoup à l'idée que l'on puisse se faire d'un utérus, il en contient les mêmes éléments clés. La poche plastique, tout comme les parois intérieures de l'utérus, protège le fœtus du monde extérieur, tout en permettant à l'équipe médicale d'observer son développement et veiller au bon déroulement des choses.
Le fœtus baigne dans une solution électrolyte, qui remplace le liquide amniotique. Enfin, des perfusions permettent de maintenir la circulation sanguine par le biais du cordon ombilical, et convertir le dioxyde de carbone en oxygène.
Ce que « Biobag » pourrait changer pour les enfants prématurés
Aujourd'hui en France, la prématurité représente 6,6 % des naissances vivantes, soit 60 000 enfants qui naissent trop tôt chaque année. Un phénomène à la hausse, puisqu'on compte 22 % de naissances prématurées de plus en 15 ans.
Si les enfants nés prématurés peuvent survivre, par le biais d'un traitement plus ou moins lourd et sans subir trop de séquelles, il faut savoir que la naissance prématurée est la principale cause de la mort des nouveau-nés. Entre 32 et 34 semaines de grossesse, les bébés sont qualifiés de prématurés modérés, et leur pourcentage de survie est de 99 %. Mais à moins de 32 semaines, plus les enfants sont prématurés, plus leurs chances de survie dégringolent : ainsi, à moins de 24 semaines d'aménorrhée (prématurité extrême), le taux de survie de l'enfant est de moins d'1 %…
Le docteur Alan Flake espère que le Biobag permettra d'améliorer les options de soin et d'augmenter les chances de survie, en particulier dans le cas des enfants touchés par une prématurité forte à sévère. En effet, les nourrissons prématurés doivent subir soins intensifs, afin de leur permettre de poursuivre leur développement à l'extérieur du corps de leurs mères, qui leur laisse parfois de graves séquelles
Ceux qui parviennent à survivre à l'accouchement nécessitent d'être placés sous ventilation mécanique afin de leur permettre de respirer, de subir un traitement lourd, de prendre de nombreux médicaments et d'être mis sous intraveineuse afin d'absorber les fluides vitaux nécessaires à leur survie. Lorsqu'ils survivent aux traitements et qu'ils sortent de l'unité des soins intensifs, une bonne partie de ces nourrissons (entre 20 % et 50 %) continueront à souffrir toute leur vie de certaines affectations et conditions médicales, principalement à cause du développement interrompu de leurs organes.
« Désormais, nous l'espérons, les parents pourront choisir entre prendre la décision critique d'utiliser ces mesures médicales agressives pour maintenir leur bébé en vie, ou bien leur permettre un traitement moins douloureux, plus doux et confortable, en leur permettant de poursuivre leur développement dans un utérus de substitution, » explique Elizabeth Rogers, codirectrice du programme de soins intensifs de l'Hôpital pour enfants UCSF Benioff, à San Francisco (qui n'a pas participé à la recherche menée par le docteur Flake).