La ministre des Solidarités et de la santé, Agnès Buzyn, avait lancé en décembre une négociation autour de la pauvreté des enfants. Elle avait donc intimé à un groupe de travail, de se pencher sur la stratégie quant à la prévention et de la lutte contre la pauvreté des enfants.
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Le constat est, en plus d'être simple, connu depuis longtemps. Les enfants en zone prioritaire ne partent pas avec les mêmes chances que les autres. Pour 46% de ces enfants, ils vivent au sein d'une famille monoparentale. Pour l'ensemble des autres enfants, les familles monoparentales représentent 20%, selon un rapport de l'Éducation nationale. Et les chiffres, comme le révèle, Agnès Buzyn, sont alarmants : « Trois millions d'enfants, soit un enfant sur cinq, plus d'une famille monoparentale sur trois, vivent en situation de pauvreté. Ces chiffres ne sont pas acceptables ».
Dans le rapport de Jean-Paul Delahaye, l'inspecteur général de l'Éducation nationale, il est indiqué que les enfants eux-mêmes ressentent un écart important face aux autres enfants : « Les 6/18 ans vivant dans la précarité se perçoivent plus en difficulté à l'école ou dans leur famille, plus éloignés du système de soins, plus marginalisés dans leur quartier, plus en insécurité dans leur environnement proche mais aussi moins associés à la vie collective que les autres enfants.» Un constat qui alimente la « spirale du malheur » selon Catherine Dolto, médecin généraliste et écrivain.
Pauvreté : La face cachée d'un iceberg, bien dissimulé
Cette « spirale du malheur » dont parle Catherine Dolto est nourrie par éléments du quotidien qui bouleversent l'enfant. Celui-là qui est totalement à même de se rendre compte que les inégalités feront partie intégrante de son développement intellectuel et social. Le rapport de l'Éducation nationale révèle ainsi que les personnels d'un établissement du Havre ont pu observer la détresse dans laquelle se trouvent les enfants : « les gens mettent des T-shirts dans les trous pour que les rats ne rentrent pas, certains enfants nous disent 'à quoi ça sert d'apprendre, plus tard que je serai chômeur' ».
Mais alors, comment se rendre compte qu'un élève est en situation de précarité sévère ? Est-ce que l'on peut faire du cas par cas ? Pour cet enseignant, qui a témoigné pour le rapport de l'Éducation nationale, ces enfants sont « repérés par leurs difficultés de paiement pour la restauration et les voyages scolaires » et cet enseignant, accorde ses violons avec un établissement de Seine-Saint-Denis qui assure que « les vêtements de remplacement ne sont pas restitués par les familles » et le « repas pris à la cantine constitue souvent le seul apport nutritionnel de la journée. De nombreux enfants viennent sans chaussettes et parfois sans chaussures (chaussons) et cela même en hiver ». Des constats insupportables qui méritaient donc la concertation proposée par Agnès Buzyn.
La nourriture comme point de départ aux inégalités persistantes
L'inspectrice de la circonscription de l'académie de Créteil est claire : « Pour un enfant, une matinée le ventre vide jusqu'à 12h30 (...) c'est long et cela peut compromettre l'investissement de l'enfant dans son travail scolaire ». Un constat appuyé par des données chiffrées de l'Éducation nationale qui révèle que « 15% ( des enfants interrogés) se couchent après 23 heures alors qu’ils ne sont qu’au CM1/CM2, 13% ne prennent jamais de petit-déjeuner avant de partir à l’école et 13% disent n’être jamais aidés par quelqu’un lorsqu’ils ne comprennent pas une leçon ».
Alors, pour pallier ce manque d'apport nutritionnel, la délégation interministérielle qui lutte contre la pauvreté a proposé de garantir à tous les élèves d'établissements prioritaires (REP, REP+) un petit-déjeuner gratuit. Ainsi, on assure à ces enfants la possibilité de manger avant de commencer une matinée d'apprentissage. Également, grâce à cette démarche, les enfants concernés se sentiront davantage pris en charge par l'État, supplantant ainsi le sentiment d'isolement. Le député LaREM, Olivier Véran a précisé sur RMC la propension sera appliquée « dès que possible ». Aussi, ces petits-déjeuners ont un coût et sont évalués à 10 millions d'euros par an. Cette dépense sera assurée par une dotation de l'État.
Des mesures pour limiter les inégalités
Les petits-déjeuners gratuits ne sont pas la seule mesure envisagée pour lutter contre la pauvreté. En effet, une centaine de mesures devaient être présentées ce jeudi à Agnès Buzyn. Le délégué interministériel en charge du dossier, Olivier Noblecourt a travaillé pendant près de trois mois avec des associations, des élus locaux et des acteurs confrontés au terrain chaque jour pour pouvoir construire ces propositions.
Parmi elles, l'allongement de la période de formation. En ce sens, rendre obligatoire le cursus scolaire jusqu'à 18 ans afin « d'empêcher la sortie des jeunes sans qualification du système scolaire ». Également, les auteurs de ces propositions évoquent les minima sociaux pour « y associer un droit universel à l'accueil et l'accompagnement social et ainsi signaler les personnes en détresse sociale au-delà des numéros d'urgence sociale existants permettant l'auto-signalement et le signalement par des tiers ». Également, les associations qui ont participé à la rédaction des propositions ont soumis l'idée de fusionner les minima sociaux pour accoucher d'un revenu minimum de 850 euros accessible dès la majorité.
Cependant, les associations mettent le holà et évoquent quelques inquiétudes quant à ces mesures qui, selon Claire Hédon, présidente d'Agir Tous pour la Dignité Quart Monde ont des limites : « L’idée de départ pouvait être une bonne porte d’entrée […] mais la réflexion n’est plus aussi large ».