Faut-il vraiment boycotter le Téléthon pour protester contre l'expérimentation animale ?

Ce vendredi marquera le top départ du Téléthon. Un marathon télévisuel, accompagné de trente heures de direct sur les chaînes de France Télévisions, de manifestations et d'événements caritatifs dans toute la France. Cet événement, qui a lieu chaque année depuis 1987, avait permis de récolter 92 millions d’euros l’an dernier, afin de financer la recherche sur les maladies génétiques neuromusculaires, telles que les myopathies, la myotonie de Steinert, ainsi que d'autres maladies rares. Il recueille à lui seul 3% des dons annuels des Français, ce qui en fait la grosse collecte populaire au monde.

Or, à la veille du lancement de l'événement, Pascaline Wittkowski, une femme atteinte de myopathie, appelle dans une vidéo diffusée sur Youtube à boycotter le Téléthon. Principal problème à ses yeux : les expérimentations animales, qu'elle décrit comme étant cruelles et inefficaces.

« Je n'ai pas demandé à ce que des animaux souffrent pour moi. Je ne veux pas. Ça fait mal de savoir que des êtres vivants, sensibles, conscients, vont être privés de leur vie, vont vivre une vie de souffrances, juste pour moi » déclare-t-elle face caméra. « Pourquoi continuer à financer une recherche qui ne nous guérit pas ? Il y a aujourd'hui des chercheurs qui sont engagés, qui sont au travail depuis plusieurs années sur des méthodes fiables et efficaces, conformes au génome humain, qui commencent à obtenir des résultats. » 

Derrière cette vidéo, se trouve en réalité l’association Pour une éthique dans le traitement des animaux (Peta). Pascaline Wittkowski, myopathe depuis une quarantaine d’années, est également militante du Parti animaliste — parti pour lequel elle a d'ailleurs été candidate aux élections législatives de Seine-Maritime, en 2017.

Même si l'opinion de cette patiente n'engage qu'elle et qu'elle ne reflète évidemment pas celle de la totalité des personnes atteintes de maladies neuromusculaires, l'intervention n'en est pas moins intéressante car elle pose un véritable problème de fond : pourquoi expérimente-t-on aujourd'hui sur des animaux ? Est-ce que l'expérimentation animale est vraiment nécessaire à l'élaboration de nouveaux traitements ? Sur le plan éthique, voilà qui est plutôt délicat :  doit-on se résigner à faire un choix entre la souffrance des animaux et celle des patients ? 

De l'avis de Peta, la recherche animale pourrait être facilement remplacée par d'autres méthodes alternatives.  « Je ne suis pas un chien », fait ainsi valoir Pascaline Wittkowski, avant de conclure : « Si vous voulez vraiment aider les malades, ne donnez plus au Téléthon, et financez la recherche scientifique qui n’utilise pas les animaux. »

La fin de l'expérimentation animale , un enjeu majeur de recherche

On ne peut qu'être d'accord, du moins en apparence. Quelle personne pourvue d'un cœur souhaiterait défendre l'expérimentation animale, et le sacrifice d'animaux innocents dans des laboratoires ? Le souci, c'est que l'affaire est loin d'être aussi simple que cela. L'expérimentation animale constitue aujourd'hui  « une nécessité scientifique », rétorque l'AFM-Téléthon sur son site internet, puisque « les modèles animaux sont ceux qui sont au plus proche du modèle humain ». Un avis également partagé par le CNRS, qui affirme que dans l'état actuel des connaissances, la recherche animale reste indispensable.

Certes, d'autres méthodes sont d'ores et déjà en train d'être utilisées, expérimentées et développées, afin de pouvoir un jour se substituer totalement à l'expérimentation animale... Sauf que pour pouvoir se passer totalement des animaux, il reste encore des progrès à faire. Et ce n'est pourtant pas l'envie qui manque du côté de la communauté scientifique : d'abord parce que les chercheurs aussi ont un cœur, et que l'expérimentation animale n'est pas vraiment idéale du point de vue éthique. Ensuite, parce qu'au-delà de cela, elle est compliquée à mettre en œuvre... et elle coûte cher, car elle implique l’élevage des animaux, ainsi que l’emploi et la formation de personnel qui se consacre exclusivement aux animaux.

Le remplacement total des procédures appliquées sur les animaux est même, actuellement, un enjeu majeur de recherche, fixé par une directive européenne de 2010 — laquelle vise, à terme, l'abolition totale de l'usage de cette pratique. D'ailleurs, même si peu de personnes le savent, il est aujourd'hui interdit d'expérimenter sur un animal s'il existe un modèle d'expérimentation alternatif dont l'efficacité aurait été prouvée pour l'expérience en question. 

Dans une tribune, publiée le 30 novembre par Libération et co-signée par 400 chercheurs, des scientifiques dénoncent les « caricatures » sur l’expérimentation animale. « L’utilisation des animaux à des fins scientifiques est sans aucun doute l'un des secteurs les plus réglementés et les plus contrôlés », expliquent-ils, assurant qu'il existe en fait une méconnaissance importante des Français sur l’encadrement très strict de l'emploi des animaux dans les laboratoires.

« La recherche en 2017 n’a pas grand-chose à voir avec celle menée jusque dans les années 80. Les pratiques ont évolué, allant de pair avec l’évolution des connaissances et de la place de l’animal dans la société », peut-on lire dans la tribune. 

« Sait-on qu’il est interdit, depuis 1986, d’utiliser un modèle animal s’il existe un modèle alternatif ? Et obligatoire, depuis 2013, de justifier le modèle utilisé auprès d’un comité d’éthique ainsi que le nombre d’animaux utilisés, dans le respect permanent de la règle des «3 R» (« remplacer, réduire, raffiner ») ? Que les projets utilisant des animaux doivent être autorisés par le ministère chargé de la Recherche ? »

Si des modèles d'expérimentation in vitro existent déjà et que les chercheurs ont l'obligation de les utiliser tant que possible, ils ne peuvent malheureusement pas encore, comme le suggère Pascaline Wittkowski, se substituer à toutes les procédures. Ainsi, par exemple, un modèle de peau artificielle, développé par des chercheurs, existe depuis plus de vingt ans pour tester l'innocuité d'une substance chimique donnée sur la peau humaine. Cependant, pour tester des processus plus complexes, cette peau artificielle ne peut pas constituer un indicateur fiable car elle n'a ni nerfs, ni vaisseaux sanguins.

Les revendications de Peta-France et de Pascaline Wittkowski sont bien légitimes... mais boycotter le Téléthon, est-ce vraiment la solution la plus intelligente, à la fois pour l'avancée de la recherche sur les maladies génétiques neuromusculaires, et pour l'avancée des droits des animaux ? 

Quoi qu'il advienne, la gigantesque opération télévisuelle, plus grosse collecte populaire au monde, devrait permettre, cette année encore, de recueillir de très nombreux dons, malgré l'appel de Peta... Cependant, il va sans dire que l'on se trompe de cible, et surtout d'angle d'attaque, en voulant opposer les intérêts des malades à ceux des animaux. Pourquoi ne pas plutôt organiser, par exemple,  une vaste collecte pour aider à financer le développement des nouveaux modèles d'expérimentation in vitro ?


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