L'année dernière, à l'occasion du Salon International de l'Agriculture, nous vous parlions d'une belle initiative, à la fois novatrice et encourageante, menée par des agriculteurs alsaciens. Pour s'émanciper de la boucle de la grande distribution et vendre leurs produits directement aux consommateurs, ces 35 producteurs se sont tout simplement cotisés pour racheter un supermarché de la chaîne de magasins Lidl.
À la place de l'enseigne discount, ils ont réaménagé les lieux pour faire naître « Cœur Paysan », une grande surface gérée par les agriculteurs eux-mêmes, qui viennent à tour de rôle y vendre leurs produits, sans aucun intermédiaire.
Source : Cœur Paysan
Un système de coopérative, donc, mais qui récupère le côté pratique de la grande distribution en matière d'accessibilité, d'espace et d'agencement.
Surtout, Cœur Paysan a réussi une victoire symbolique en prouvant qu'il est possible, lorsque l'on s'y met à plusieurs, de lutter contre l'hégémonie que la grande distribution tend à imposer. Des paysans devenus propriétaires d'une grande surface, voilà qui mérite en effet le détour ! Ensemble, ils sont parvenus à réaliser la marche inverse d'une logique qui voudrait que ce soient les plus gros qui absorbent et rachètent les plus petits.
Et, bonne nouvelle : près d'un an après son lancement, le bilan est au beau fixe. Le Figaro fait ainsi état d'un chiffre d'affaires de 2,5 millions d'euros, qui dépasse les objectifs initialement prévus par les agriculteurs. Fort de ces résultats encourageants, Cœur Paysan est pour l'instant un véritable succès... au point qu'il semble déjà en passe de faire des émules !
Le quotidien rapporte ainsi que de nombreux agriculteurs, mais aussi des élus de la France entière, ont sollicité Denis Digel (le maraîcher à l'initiative du projet ) afin d'obtenir des retours d'expérience et des conseils pour monter des magasins similaires.
Un intérêt croissant qui, bien que lié à la réussite du projet, démontrant un potentiel certain résidant en ce modèle alternatif, veut également satisfaire une demande croissante du public de manger sain, local, et d'obtenir une transparence maximale sur les produits de consommation. Les producteurs de Cœur Paysan ont donc décidé de s'organiser pour permettre à leur modèle de se propager, en aidant d'autres paysans à faire éclore des structures similaires. Denis Digel voit déjà le concept comme une « locomotive » à la suite de laquelle de nouveaux wagons pourront venir se raccrocher. « Si ça a marché pour nous, ça devrait marcher pour d'autres, » affirme-t-il.
Circuit court et court-circuit
Et, effectivement, pourquoi un tel modèle ne fonctionnerait-il pas ? À produits identiques, Cœur Paysan est bien souvent moins cher que la plupart des grandes surfaces, grâce à la faible commission prise pour faire fonctionner le magasin (une marge qui, chez la grande distribution, peut s'élever jusqu’à 66% du prix sur les fruits et légumes). Comme l'indique le maraîcher, dans son système en circuit court, « les fruits et légumes sont moins onéreux, par exemple le kilo de mâche est vendu 10 euros alors que les grossistes les revendent 12 à 13 euros le kilo ». Bien sûr, certains produits restent plus cher, c'est le cas par exemple des fromages artisanaux ou du pain... mais pour le coup, dans ces cas, les produits n'ont pas grand-chose à voir avec leurs homologues de grande surface. Pour les paysans, qui fixent eux-mêmes les prix, il s'agit avant tout de valoriser leur travail à sa juste valeur, et la qualité s'en ressent forcément. Du côté des consommateurs, il y a la garantie d'obtenir des produits sains et locaux directement des mains des producteurs... doublé du plaisir de court-circuiter la grande distribution.
Verra-t-on bientôt de nouveaux « Cœurs Paysans » fleurir un peu partout en France, remplaçant petit à petit les grandes enseignes de supermarchés, tout en permettant aux agriculteurs de vendre directement leurs produits aux consommateurs ? Comme souvent, ce qui peut un jour paraître utopiste ou invraisemblable peut se profiler le lendemain comme une solution de l'avenir — et l'impossible ne l'est que jusqu'à ce que les premiers bourgeons pointent le bout de leur nez...
Source :Cœur Paysan