Nous les croisons pratiquement tous les jours, passons devant eux chaque fois que nous nous rendons dans une enseigne de grande distribution sans toutefois nous interroger sur leur quotidien, leurs conditions de travail, et les difficultés qu’ils peuvent rencontrer chaque jour. Sans nous soucier de ce qu’ils ressentent réellement. Les hôtesses et hôtes de caisse ne bénéficient en général que de peu de visibilité, inversement proportionnelle aux sautes d’humeur et comportements parfois déplacés des clients dont ils sont victimes.
Le 19 février 2018, le jeune Robin Vettier partageait dans un thread sur son compte Twitter des exemples de situations démoralisantes, consternantes dont il a pu être victime dans le cadre de son métier d'hôte de caisse, complémentaire de sa vie étudiante. Retweetés plusieurs milliers de fois, ses témoignages ont permis d'attirer enfin l'attention des médias comme de la population en général sur les sévices psychologiques dont sont victimes les hôtes de caisse, malmenés par des clients injurieux, peu soucieux de leur bien-être.
Date oubliée:un homme vole 5 jeux de FIFA17. On l’arrête. Pendant qu’on attend la police il parle aux agents de securité (renois): “alors l’esclavage, ça ne te manque pas trop? En vrai être ici obéir aux blanc c’est pareil” L’agent de sécurité sourit, ne rétorque pas. Propre.
— Robin V ロビン (@RobinVettier) 19 février 2018
Parce qu’ils font un métier de service, de contact, ils sont parfois considérés comme des êtres de peu de valeur, indignes du respect que l’on peut témoigner à d’autres personnes exerçant d’autres professions, considérées plus nobles. Nous avons rencontré et tenu à donner la parole à deux jeunes hôtes de caisse qui nous ont livré à cœur ouvert quelques expériences malheureuses qu’ils ont pu connaître dans le cadre de leur travail, abordant sans concession leur vie professionnelle.
Apparu il y a une cinquantaine d'années avec l'explosion de la société de consommation et l'apparition des supermarchés, le métier d'hôte de caisse est invariablement amené à disparaître, alors que se multiplient les caisses automatiques. Crédit photo : Simon Kadula / Shutterstock
Nicolas a 21 ans. Actuellement en contrat étudiant chez Lidl, ce jeune nordiste a travaillé un an et demi dans un magasin de l’enseigne allemande, avant d’être réaffecté dans une autre ville des Hauts-de-France, toujours pour la même franchise. Lorsque nous l’interrogeons sur ses conditions de travail, la première chose à lui venir en tête constitue l’impolitesse persistante des personnes qu’il peut voir défiler chaque jour sous ses yeux :
« Tous ces gens qui refusent de te dire bonjour... Je dis bien qui refusent. L’autre fois, j'ai fini de faire passer un client, le suivant m’a dit de but en blanc : « j'ai deux packs d'eau et un pack de lait. » Je l’ai regardé dans les yeux, et je l’ai salué en souriant : « Bonjour, Monsieur ! ». Il ne m'a pas répondu. Donc après, j'ai arrêté d'être poli aussi. Ça, c'est un fléau. Ils te prennent bien pour de la merde par moments ».
Ce rapport déséquilibré entre les clients et les hôtes de caisse, Nicolas le déplore, dénonçant un manque de respect flagrant, lui qui a parfois l’impression de servir de défouloir tacitement toléré par l’ensemble de la société. Il soutient également que certains prennent un peu trop à cœur l’adage « le client est roi » :
« Les gens se plaignent énormément du rythme élevé, très rapide qu'on peut avoir en caisse. C'est de l'hypocrisie, confie-t-il en toute honnêteté, car ils sont bien contents que tu passes les gens avant eux le plus vite possible. Mais quand leur tour arrive, alors là il faut aller doucement.
Récemment, un client posait ses bouteilles debout sur le tapis roulant de ma caisse. Je lui ai gentiment demandé de les poser couchées à l’avenir, pour éviter qu’elles tombent et se brisent. Il m’a répondu : « si t'ouvrais une autre caisse et que t’allais moins vite, elles tomberaient pas ». Je lui ai expliqué : « certes, mais en attendant je suis le seul ouvert et je vous conseille simplement de faire comme ça pour éviter de les casser ». Il s’est alors énervé : « j'en ai rien à foutre de tes conseils, je suis encore dans le magasin. Si la bouteille casse c'est ton problème, pas le mien ».
Je lui ai fait : « vous vous plaignez de la rapidité mais réagir comme ça, et s'en foutre de casser une bouteille, ça finit par faire perdre du temps à tout le monde ». À ce moment-là, il m’a claqué brutalement : « arrête de répondre et de discuter, tais-toi » ».
Nombre d'étudiants officient en tant qu'hôtes de caisse en marge de leurs études. Crédit photo : Dean Drobot / Shutterstock
Des histoires comme celles-ci, Nicolas en a accumulé des dizaines au fil des mois. Il en va de même pour ses collègues, et pour l’ensemble des hôtes de caisse dans la grande distribution. Abbygaelle*, elle, est étudiante de 22 ans en sciences politiques. Vivant actuellement à Lille, elle travaille par ailleurs dans une enseigne très connue en tant qu’hôtesse de caisse sur son temps libre, afin de financer ses études. En tant que jeune femme jonglant entre études et travail, elle dénonce un sexisme parfois virulent à son encontre lorsqu’elle se trouve derrière sa caisse :
« Je n’ai qu’une situation humiliante qui me revient vraiment, se souvient-elle. C’était du sexisme. Ça ne faisait que quelques mois que je travaillais là. Je fermais ma caisse, mon service était terminé, le magasin était blindé. J’avais cours dans trente minutes, je devais absolument partir. J’étais déjà juste, et un mec est arrivé et a posé ses articles sur mon tapis. Je lui ai indiqué que je fermais.
D’autres clients m’ont regardée en me disant que c’était une honte de fermer ma caisse au moment des heures de pointe. J’avais beau dire que ce n’était pas mon problème, que j’avais fini mon travail, tout le monde était sur mon dos. Le mec qui avait posé ses articles sur mon tapis est devenu insistant, et m’a sorti des « t’es mignonne quand tu t’énerves », ou encore « tu vas m’encaisser parce que tu sers qu’à ça », et autres « allez, fais-moi un bisou ». Et vraiment, tout le monde a toléré ça.
Arrivée dans les vestiaires, je me suis mise à pleurer. Une manager a essayé de retrouver le type en question, mais trop tard ».
Une véritable souffrance psychologique face à laquelle les autres personnes présentes dans le magasin sont restées de marbre, à son grand dam. Tout comme Nicolas, elle dénonce les réflexions désobligeantes de clients bien peu patients et très exigeants « qui te prennent pour une merde parce que t’es « que caissière » ». Avec sagesse, Abbygaelle relativise, expliquant que l’expérience permet de progressivement prendre sur soi :
« Avec le temps, tu apprends à ignorer ».
Forte des expériences malheureuses vécues en tant qu’hôtesse de caisse, Abbygaelle a acquis un recul relatif qui lui permet de désormais mieux gérer les situations, et même d’apprécier son travail, qui la maintient constamment au contact de personnes issues de diverses catégories socioprofessionnelles, dans une ville de plus de 230 000 habitants.
« Au début, ça me déprimait. Ce sont vraiment les clients qui te minent le moral. Et après, tu apprends à leur parler, tu les fais rire, et ça se passe bien. Finalement, ça fait super longtemps que je n’ai pas eu de problème en caisse parce que je relativise beaucoup, et que j’apprends à déconner avec les clients. Certains deviennent ensuite des habitués, et c’est rigolo »
Si la vie d’hôte de caisse n’est psychologiquement pas de tout repos, il n’en demeure pas moins qu’elle réserve son lot de moments réjouissants et d’anecdotes amusantes dont Abbygaelle ne manque pas. Joviale et enthousiaste, l’étudiante aux brillants yeux verts conclut ainsi, amusée :
« La plupart du temps, ce sont des situations qui me font sourire. Hier encore, j’ai eu le droit à deux papys qui passaient à la caisse et qui se battaient comme des enfants parce que l’un voulait payer les sachets de café à l’autre, et inversement. C’est finalement celui qui souhaitait régler par carte bancaire qui a gagné ».
*Prénom modifié par souci d’anonymat