Coup de projecteur aujourd'hui sur l'incroyable histoire de James Hart Stern, ce militant afro-américain qui essaie de démanteler une organisation néonazie après avoir réussi à en devenir... le président. Un vrai polar en noir et blanc.
C’est un récit à peine croyable digne des meilleurs scénarios hollywoodiens. Un Afro-Américain qui se retrouve à la tête de l’une des organisations néonazies les plus puissantes des États-Unis, avec pour ambition de démanteler celle-ci de l’intérieur. Rien que ça !
Soyons francs, voilà un synopsis pour le moins saugrenu et aux allures de comédie dramatique ô combien vendues ; même Spike Lee n’aurait pas osé !
Mais, aussi incroyable que cela puisse paraître, il s’agit pourtant d’une histoire vraie, celle de James Hart Stern, véritable personnage romanesque.
Âgé de 54 ans, ce militant afro-américain pour les droits civiques est en effet le nouveau président du National Socialist Movement qui - comme la référence de son nom l’indique - est une organisation néonazie active dans l’État du Michigan, depuis sa création en 1974 à Détroit.
Longtemps marginale au sein de l’extrême droite américaine, cette dernière a peu à peu pris de l’ampleur pour devenir au fil des ans la plus puissante entité néonazie présente sur le sol américain.
Le monde a fait connaissance avec ses militants les plus radicaux lors des tristement célèbres événements de Charlottesville des 11 et 12 août 2017, au cours desquels une manifestante anti-raciste avait trouvé la mort, fauchée par un conducteur suprémaciste blanc.
Arborant fièrement des symboles dépourvus de la moindre ambiguïté et faisant directement référence au nazisme, les membres de cette « joyeuse » confrérie vouent un culte à Adolf Hitler et entendent établir un régime suprémaciste blanc aux États-Unis, basé entre autres sur une idéologie ouvertement raciste, antisémite et homophobe.
Et pour ceux qui douteraient encore de leur sympathie pour le troisième Reich, la présence d’un svastika incliné - symbole initialement sanskrit puis détourné en une croix gammée par les nazis - sur l’un des logos officiels achèvera de les convaincre.
Manifestation du National Socialist Movement à Washington. Crédit photo : Flickr
Voilà pour le tableau !
Rencontre avec l'extrême droite
Mais alors, comment diable un Afro-Américain a-t-il bien pu se retrouver au sommet de cette organisation ? Tout prend racine, de son propre aveu, dans une… cellule de prison des années en arrière.
Nous sommes alors en 2010 et Jame Hart Stern purge une peine pour fraude dans un pénitencier du Mississippi. Son compagnon de cellule Edgar Ray Killen n’est autre que l’ancien Grand Sorcier du Ku Kux Klan, condamné en 2005 pour avoir commandité le meurtre de trois défenseurs des droits civiques en 1964.
Pour l’anecdote, ce triple homicide qui avait profondément choqué les États-Unis à l’époque inspirera plus tard le film « Mississippi Burning », sorti en salles en 1989.
Contre toute attente, les deux hommes vont se lier d’amitié derrière les barreaux et malgré les quolibets racistes qu’il doit essuyer à longueur de journée, Stern se rapproche de son co-détenu - mort en détention en 2018 - qui va lui léguer certains de ses biens. Une version que la famille du défunt dément en bloc.
Libéré sur parole en 2011, Stern va ensuite rencontrer trois ans plus tard Jeff Schoep, qui dirige le NSM depuis 1994. Dans quel but ? difficile à dire, tant les versions des deux protagonistes diffèrent.
Selon Stern, Schoep - qui souhaitait en apprendre davantage sur Killen - l’aurait contacté en premier, ce que conteste l’intéressé, lequel affirme au contraire que c’est son interlocuteur qui a souhaité le rencontrer pour envisager l’éventualité d’une improbable réconciliation raciale.
De fait, si l’on ignore encore le fin mot de l’histoire, les deux hommes vont bel et bien cohabiter et un sommet - au cours duquel auront lieu des échanges entre des dirigeants de la communauté noire et des suprémacistes blancs - sera même organisé en Californie.
James Hart Stern affirme par ailleurs que lui et Schoep auraient, à compter de ce moment, commencé à s’entretenir de plus en plus sur des questions profondes de société.
Stern s’est confié sur la nature de cette relation dans les colonnes du Washington Post et prétend qu’il a peu à peu gagné la confiance du leader du NSM, qui l’aurait rapidement consulté pour des conseils juridiques, suite à une plainte déposée en 2017 contre le NSM par une militante anti-raciste, ayant participé à la contre-manifestation de Charlottesville, précédemment évoquée.
Inquiet à l’idée de devoir rendre des comptes devant la justice à cause des agissements de certains des membres de son organisation, Schoep aurait ainsi sollicité l’aide de Stern qui a étudié le droit et obtenu le statut de juriste en prison.
Le suprémaciste aurait peu à peu fait part de son désir de s’écarter du groupuscule et de prendre un nouveau départ. C’est à cet instant précis que Stern l’aurait convaincu de lui céder le contrôle de l’organisation ainsi que du site internet, en le nommant officiellement président du National Socialist Movement.
S’il ne conteste pas cette inattendue passation de pouvoir, Schoep nie tout de même avoir confié les rênes du NSM dans les faits, et affirme avoir été manipulé par Stern, qui lui aurait fait croire qu’un changement de dirigeant permettrait l’abandon des poursuites contre l’organisation. « Beaucoup de ce qu’il dit est le contraire de la vérité (…) Il n’a le contrôle de rien », affirme-t-il ainsi.
« J'ai pris le contrôle d'un groupe de néo-nazis et je les ai eus ! »
Toujours est-il qu’une demande officielle de transfert d’autorité à James Stern a bien été déposée par Jeff Schoep mi-janvier. Une demande entérinée le 15 février dernier, date à laquelle le militant afro-américain est officiellement devenu le représentant légal du NSM.
Un coup de théâtre qui a semé la confusion dans les rangs de l’organisation et qui par la même occasion a placé Jeff Schoep dans une fâcheuse posture auprès de ses sympathisants. Ce dernier s’évertue depuis à défendre son honneur et prétend que Stern l’a « trompé ».
« Il m’a convaincu que je devais lui céder la présidence pour protéger nos membres des poursuites en cours », répète-t-il à l’envie dans le Washington Post, ajoutant que Stern « dit des mensonges et des calomnies dans la presse ».
De son côté, James Hart Stern, pas peu fier de sa prise de pouvoir rocambolesque, n’a pas traîné avant de prendre sa première décision d’envergure. À peine « intronisé », ce dernier a ainsi demandé à un juge de Virginie de déclarer l’organisation NSM coupable d’avoir commandité les actes de violences survenus lors de la manifestation « Unite the Right » à Charlosteville.
Il envisage également une refonte totale du site web pour en faire un espace dédié au devoir de mémoire sur… l’Holocauste. Un coup de maître !
En attendant d’éventuelles suites judiciaires à cet invraisemblable imbroglio qui est loin d’être terminé, le mot de la fin revient au principal protagoniste James Hart Stern : « En tant que Noir, j'ai pris le contrôle d'un groupe de néo-nazis et je les ai eus à leur propre jeu ! ».
Une bien belle conclusion pour celui qui se fait désormais appeler « l’homme qui murmurait à l’oreille des races ».