Après 5 jours d'audience mouvementés, hier, mardi 30 janvier, les parents des victimes et Bilal, un rescapé, ont été entendus. Une audience qui a pris une tout autre tonalité que celle de Jawad Bendaoud.
Jawad Bendaoud : «Je suis fini, que je mente ou pas. Qui va m'embaucher dehors? J'avais un projet de point de vente de cocaïne. Qui va s'associer avec moi?» https://t.co/LTSsZAHJTM par @carolinetaix #AFP pic.twitter.com/J6BwMw68Vc
— Agence France-Presse (@afpfr) 26 janvier 2018
Quel étrange comportement que de rire lors du procès d'un homme suspecté d'être celui qui a logé les terroristes qui ont ôté la vie à 140 personnes. Et pourtant, ses frasques ne sont pas passées inaperçues, sur Twitter et sur Facebook, à peu près tout le monde reprenait les citations du prévenu, devenant hilare face à tant de repartie aussi abyssale que mûrement réfléchie.
Mais l'ambiance a vite changé. Mardi 30 janvier, Jawad Bendaoud a laissé son humour dans sa cellule et s'est fait tout petit pour laisser la parole à la partie civile. Famille des victimes, rescapé, témoins, tous ont déploré la légèreté avec laquelle Jawad Bendaoud s'est rendu à son procès, dénonçant une comédie de boulevard de mauvais goût, qui n'aurait jamais dû avoir sa place dans un procès d'une telle ampleur, censé rendre justice à toutes les victimes de l'attentat du 13 novembre.
« J'ai été outré des rires qu'ont suscités les prévenus »
Patrick a perdu sa fille, Nathalie, qui travaillait au Bataclan, animée par une passion pour la musique. Il a du mal à comprendre comment tant de gens peuvent rire devant les paroles de Jawad Bendaoud, martelant que « pour moi ce n'est pas drôle. Je me serais bien passé d'être ici. Et j'aurais préféré passer ces moments avec ma fille, Nathalie ». Peu de temps avant qu'il ne s'avance à la barre, les larmes aux yeux, Momahed Soumah avait présenté ses condoléances, à l'ensemble de la salle. Patrick n'y croit pas. « Mohamed Soumah a présenté ses condoléances, mais cela sonne faux, creux. Ils se rendent coupables des pires exactions et quand ils se font prendre, ils pleurent comme des petites filles et ne sont même pas capables d'assumer leurs actes ». Érigeant sa douleur comme une arme pour les combattre, il rappelle que si eux se plaignent de leurs conditions de détention depuis 27 mois, « moi c'est depuis le 13 novembre 2015 que je suis en prison, privé de ma fille. À l'institut médico-légal, j'ai vu ma fille recouverte d'un linceul jusqu'au cou, derrière une vitre. Je n’ai même pas pu l'embrasser. »
Pour Abdallah S, la peine a été double. Il a perdu ses deux sœurs ce soir-là. Et, contre toute attente, d'un ton qui laisse sa place à la nuance, il s'adresse directement aux prévenus, leur rappelant pourquoi ils sont là : « Il y a quelque chose que vous avez oublié : ce n’est pas un show, ce n’est pas un défilé de mode ici. Il y a minimum de respect à avoir. Il y a des familles qui sont KO. » Et de laisser le bénéfice du doute à ceux qui ont peut-être logé les meurtriers de ses deux sœurs. « Monsieur Soumah et monsieur Bendaoud, ils n’étaient sans doute pas au courant, vraiment. Mais tenez-vous correctement. J'ai perdu mes deux sœurs, mon frère était présent également. »
« Quand vous avez cette expérience des quartiers populaires, vous savez déceler les mauvais comportements. »
Ancien boxeur, free fighter et maintenant garde du corps. Bilal Monoko est né dans les milieux populaires, mesure 1,95 mètre, pèse 125 kilos et ne pensait « jamais prendre peur ». Il était au Stade de France, lorsqu'un kamikaze s'est fait exploser. Garde du corps d'une autorité politique, il avait emmené son fils avec lui au travail. Aujourd'hui, il témoigne en fauteuil roulant. Touché à la tête et à la hanche, son oreille gauche ne fonctionne plus depuis le 13 novembre 2015. Mais ce n'est rien comparé à la peur de perdre son fils. Lorsqu'il se rend aux toilettes, il comprend que quelque chose de mauvais se trame en croisant deux hommes à la suite.
« J'avais le sentiment qu'il se passait quelque chose. Je me suis dit, 'c'est un braquage.' Quand vous avez cette expérience des quartiers populaires, vous savez déceler les mauvais comportements. J’allais mettre mon sandwich à la bouche, quand son corps a éclaté. Puis il y a eu une deuxième explosion. J’ai dit, mon Dieu, mon Dieu, mon fils ! J’ai cherché dans les débris du kamikaze s’il y avait des vêtements de mon fils. » Pour Bilal, qui a eu la chance de voir son fils en vie après, la vision d'horreur d'un homme déchiqueté suite à l'explosion du kamikaze le hante. En ce sens, il était important pour lui de se rendre à ce procès, où des personnes qui auraient pu être ses petits frères, sont jugées : « Jawad Bendaoud, j'ai l'impression que c'est mon petit frère dont j'ai raté l'éducation. Moi j'ai perdu mon cousin aux terrasses, mon fils a failli être tué. Oui, on a pris cher ce jour-là. » Pour Bilal, mieux connaître son adversaire est une chance pour mettre en lumière la vérité : « J'ai grandi dans les quartiers et ces jeunes ne peuvent pas me raconter n'importe quoi. C'est pour ça que j'ai voulu venir. Pour qu'ils me regardent dans les yeux. »
Croire ou ne pas croire
Pour Yolanda, qui a perdu son fils de 37 ans, « ce ne sont pas eux qui ont tué mon fils. Mais ils ont aidé ces terroristes. Quand ils sortent de prison, ils volent, ils cambriolent, ils vendent de la drogue. Ils représentent un danger pour la société. Ce que j’attends, c’est qu’ils soient jugés sévèrement. Je ne crois pas qu’ils ont conscience du mal qu’ils m’ont fait. » Patrick, qui lui a perdu son fils de 32 ans au Bataclan, est plus formel, il en est intimement convaincu, Jawad est coupable : « Mon sentiment le plus profond, c’est qu’il ne pouvait que connaître les terroristes. » Une femme, qui a également perdu son fils insiste sur l'importance de l'organisation d'un tel événement dramatique : « Chaque rouage a compté, soit pour l’organisation, soit pour la fuite. Ces salopards, je ne veux même pas les regarder. »
Si, pour la majorité des familles des victimes, le doute n'est pas permis, et pour Abdallah Saadi pour qui il semble que la question de la culpabilité n'est pas si simple, pour Bilal Monoko la non-culpabilité de Jawad Bendaouad lui apparaît, après l'avoir confronté, comme une évidence. Jawad Bendaoud est bel et bien un « imbécile » mais pas un « terroriste ». « J’ai dit à son avocat, que Jawad ferme sa gueule. Parce qu’il va conforter des comportements qui ne sont pas les siens. »
« J'avais besoin de savoir s'ils étaient des terroristes ou des imbéciles. Jawad est un imbécile. Je le dis à toutes les personnes qui sont ici : Jawad m'a convaincu qu'il n'était pas au courant. Je suis venu chercher une information dont je sais maintenant que j'ai la réponse. » L'oreille attentive, Jawad Bendaoud et Mohamed Soumah regardaient Bilal Monoko, dénotant une forme de respect, avant que Jawad ne déclare à Bilal que « je te jure sur ma tête, tout ce que je dis depuis le début est la stricte vérité. Les mecs ils étaient suspects mais j'ai pensé à de la voyoucratie. Je te remercie d'avoir été correct » avant que Mohamed Soumah ne rétorque. « Bilal, sur la tombe de ma mère, comment t'as parlé, franchement ça m'a touché. J'ai fait l'imbécile, Bilal Je ne suis pas un assassin. J'ai une famille comme toi. J'ai mal analysé la situation. »
Lucide sur le déroulement du procès, le garde du corps semble être le seul à croire en l'innocence de Jawad Bendaoud mais le conseille à se préparer à une peine qu'il regrettera et le fera souffrir. « J’ai une conviction, mais la décision que vous prendrez, elle peut être douloureuse pour nous. Moi, je m'y attends. On ne peut pas retenir des personnes pour rien. Il y a le terrorisme, et il y a l’imbécillité. Jawad est un imbécile, jugez-le pour les actes qu’il a commis. » Dans un silence très profond voire pesant, l'ancien boxeur a crié un « vive la France, vive notre République » laissant la salle dans une atmosphère lourde, provoquant les larmes de certains, les applaudissements de quelques avocats.
L'audition reprend ce mercredi 31 janiver au palais de Justice de Paris à 13h30.