Est-ce que la corrida, avec mise à mort de l'animal, peut avoir des effets néfastes sur un mineur qui y assiste ? C'est en tout cas ce que croit le Comité des Droits de l'Enfant de l'ONU, ainsi que certains députés qui ont ravivé le débat.
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La question se pose depuis quelques années maintenant. D'abord érigée par Laurence Abeille en 2015, alors députée écologiste du Val-de-Marne, la limite de l'accès aux enfants aux corridas visait en premier lieu les moins de quatorze ans. « On recommande aux parents de ne pas laisser les enfants regarder les programmes violents à la TV mais on laisse les familles assister à la violence inouïe d’une mise à mort de taureau. C’est aberrant ! » avait martelé la ministre. À l’époque, deux études Ifop révélaient que 73 % des Français étaient d'accord pour l'arrêt des corridas avec la mise à mort de l'animal et 83 % étaient favorables à ce que l'accès aux corridas soit interdit aux enfants de moins de quatorze ans.
Aujourd'hui, le débat est relancé. Le Comité des Droits de l'Enfant de l'ONU s'est prononcé et publiait le 2 février dernier que « dans le but de prévenir les effets néfastes de la corrida chez les enfants, [il] recommande que l'État interdise la participation des mineurs de moins de 18 ans en tant que toreros et en tant que spectateurs aux événements tauromachiques ». Peu de temps après, Michel Larive, députée de la France Insoumise en Ariège, interpellait la garde des Sceaux sur ce qui pourrait constituer un réel traumatisme chez les enfants, en l'occurrence la torture et la mise à mort gratuite d'un taureau. « M. Michel Larive attire l'attention de Mme la garde des Sceaux, ministre de la justice, sur les mineurs qui assistent aux spectacles tauromachiques sanglants, à savoir la corrida espagnole et la corrida portugaise, encourent des conséquences néfastes, comme les effets traumatiques ou l'accoutumance à la violence. »
Traumatisme ou pas ?
Le camp est partagé. D'un côté, les militants anti-corrida et de l'autre les aficionados, élevés dans la culture de la tauromachie. Pour Jean-Paul Richier, psychiatre, dont les propos ont été recueillis par le quotidien 20 minutes, « la réaction normale d’un enfant, à la vue d’un animal saignant sous les coups d’un homme, est une réaction de rejet, de gêne et de peur ». Pour Joëlle Verdier, une militante de Droits des animaux Sud, toujours interrogée par 20 minutes, le rapport à l'empathie est intrinsèque à la violence à laquelle nous sommes exposés plus jeunes : « certains enfants, une fois adolescents ou adultes, seront plus portés à la violence et à l’absence d’empathie envers les animaux et les humains, d’autres auront la réaction inverse. Nous avons parmi nous de nombreux jeunes gens, qui ont été obligés par leurs parents à assister aux corridas, et qui sont devenus de grands militants contre la corrida. »
Enfin, pour le président de la Fédération des luttes pour l’abolition des corridas (FLAC), Thierry Hély, « ce n’est pas naturel pour un enfant d’assister à la mise à mort gratuite d’un animal, torturé à l’arme blanche. Le plus troublant et le plus incompréhensible, pour lui, c’est de voir ses parents applaudir et se réjouir de son martyre. Alors qu’au sein de sa famille on lui inculque l’amour et le respect de son animal familier. Tous ses repères s’en trouvent perturbés. »
La corrida, « école de la vie » ?
À l'opposé de ceux qui voient dans la corrida une influence néfaste pour les enfants, se trouvent ceux qui pensent qu'elle contribue, au contraire, à leur éducation et à l'apprentissage de la vie — comme une sorte de rite de passage. C'est ce que croit en tout cas Fabrice Torrito, éleveur de taureaux de combat à Séville, qui a confié au quotidien avoir assisté très jeune aux corridas : « je ne me sens absolument pas traumatisé, ni me suis transformé en un monstre barbare assoiffé de sang ». En ce sens, plutôt que de traumatiser les enfants, comme l'assurent les anti-corridas, la corrida aurait en fait, des effets très positifs sur le développement de l'enfant, assure l'éleveur : « L’art de la tauromachie m’a apporté des valeurs de courage, de respect de l’animal sauvage, de respect des règles, des codes, du dépassement de l’homme pour maîtriser la nature. » Alors, peut-être qu'effectivement, chaque enfant possède sa propre réaction face à la violence ?
Pour Fabrice Torrito, plutôt que de préserver les enfants et les laisser rêver à une vie où la violence n'existe pas, il faut au contraire les y confronter : « Ne faisons pas de nos enfants des enfants de Walt Disney, des Bisounours. Laissons aux parents la liberté d’élever leur progéniture comme ils l’entendent. Arrêtons de décider pour les autres ce qui est bien et ce qui est mal. Tout est une question de transmission, d’environnement, de préparation de l’enfant. Si depuis son tendre âge, on lui explique la corrida, ses tenants, ses aboutissants, il n’y aura pas de problème, il assimilera et décidera de lui-même plus tard s’il veut y adhérer ou pas. Mais lui interdire l’accès à cette culture merveilleuse est le couper de la réalité. »
«Les obstinés de l’interdiction de l’accès aux corridas aux mineurs devraient davantage se pencher sur l’impact des jeux vidéo violents ou des images, parfois insoutenables, diffusées à la télévision, sur Internet ou sur les réseaux sociaux.» pic.twitter.com/KF658Vk5DU
— Ryo le Ryū (@DracoAlpestris) 18 février 2018
En guise de réponse aux défenseurs des animaux inquiets pour le développement des enfants qui assistent à la mise à mort d'un taureau, les pro-corrida tendent la muleta, en leur proposant de rediriger leur attention vers un autre fléau, qui, selon eux, est bien plus grave : les jeux-vidéos violents et toutes les images violentes proposées aujourd'hui, et qui ne nécessitent plus vraiment de contrôle parental. Certes, l'argument est légitime… mais occulte-t-il pour autant le problème de base posé par la présence de mineurs dans les arènes ?
Pour le moment, le débat reste en suspens, en attendant la réponse écrite à la question de Michel Larive. Affaire à suivre.