« C’est peut-être la scène la plus épique qu’il m’a été donné de voir depuis que j’utilise un appareil photo : » voilà comment l'explorateur urbain David de Rueda décrivait ce cliché, pris au cœur d’un gigantesque hangar abandonné, au beau milieu du désert kazakh.
L'immense structure métallique sert d'écrin à deux étonnantes reliques de la conquête de l'espace, datant de l'ère soviétique. Deux navettes spatiales du programme Bourane, qui étaient promises à un destin radieux et qui, au lieu de parcourir les étoiles, ont récolté de la poussière pendant plus de trois décennies. Patiemment, les deux belles endormies semblent encore attendre le jour où résonnera le compte à rebours pour enfin s'élancer, dans une déflagration d'acier et de flammes, à la conquête de l'Univers.
On peut, bien sûr, tenter d'imaginer la sensation éprouvée ici par le photographe qui, après un trajet de 180 kilomètres en voiture dans l'un des coins les plus inhospitaliers du Kazakhstan, suivis de 45 kilomètres de marche en plein désert dans une zone « à l'accès fortement réglementé », ne sait pas trop à quoi s'attendre et découvre un tel spectacle, s'étendant sous ses yeux. On devine qu'une telle émotion est indescriptible. Pourtant, David de Rueda n'en est pas à son coup d'essai : cela fait déjà plusieurs années que l'explorateur urbain a fait ses armes, se faufilant dans les lieux abandonnés du monde entier afin d'en rapporter des clichés d'une rare poésie.
Entre les paysages désolés de Tchernobyl, des usines désaffectées, des centrales électriques à l'abandon, des cimetières de trains ou d'avions, il capture la beauté de la déchéance des installations humaines, témoins privilégiés du temps qui passe.
David de Rueda
Cette photographie est la toute première que David a prise lors de son premier voyage au Kazakhstan, en 2015. Depuis, fasciné par les lieux, il y est retourné deux fois. C'est lors de son tout dernier voyage, l'été dernier, qu'il a pu réaliser la série de photographies que vous allez voir ici.
« Ceci est la toute première photo montrant les deux navettes spatiales ainsi que l'intégralité du bâtiment. Il s'agit de la photographie principale de mon premier voyage, a expliqué David de Rueda dans une interview à CNN. Après un long trek dans la steppe, nous étions épuisés, mais nous étions incapables de dormir parce qu'il faisait trop froid. Être là-bas, c'était si surréaliste et excitant que ça m'a donné assez d'énergie pour prendre les photos que je recherchais. »
L'été dernier, David de Rueda s'est rendu à nouveau au Kazakhstan, pour mettre ses compétences d'explorateur urbain au service d'une équipe de la télévision allemande, qui souhaitait effectuer un tournage sur les lieux — et il en a profité pour prendre quelques nouvelles photos. Si, en hiver, les conditions sont déjà très rudes dans les steppes kazakhes, en été la température fait le grand écart et le désert de glace se transforme en véritable fournaise. « En hiver il peut parfois faire -30 °C, -40 °C », et en été, « +40 °C ». À cause de la chaleur, les explorateurs ont souffert du manque d'eau.
« On avait prévu presque 10 litres d'eau par personne, mais ça n’a pas suffi... Les dernières 24 heures étaient vraiment éprouvantes. Sans eau dans un hangar surchauffé, c'est tendu. Sans compter les plusieurs dizaines de kilomètres à parcourir pour le retour. »
David de Rueda
Malgré leur position isolée et leur inactivité, les lieux sont étroitement surveillés car situés non loin de la base spatiale active de Baïkonour. Le site s'étend sur 6 717 km2
David de Rueda
" Quand on a tourné le film l'année dernière, ce n'était pas passé loin avec les militaires russes sur la fin ", se souvient David de Rueda
David de Rueda
" Cette fois-ci, il y a eu une patrouille à l'intérieur de notre hangar, on a eu énormément de chance ! "
David de Rueda
" Il ne faut pas oublier qu'on est à quelques centaines de mètres des hangars et sites de lancement actifs ".
Le cosmodrome de Baïkonour, qui appartient à la Russie, est le centre de lancement le plus actif de la planète. Une quinzaine de tirs ont lieu tous les ans, en particulier les vols habités russes et les lancements à destination de l'orbite géostationnaire.
David de Rueda
Le programme de vaisseau spatial réutilisable soviétique Bourane, qui signifie « tempête de neige » en russe, a été lancé en 1976 par l'Union Soviétique, en réponse au programme spatial de la NASA de développement d’engins spatiaux réutilisables. Croyant que cette technologie serait utilisée à des fins militaires par les États-Unis, les dirigeants soviétiques ont voulu se doter d'engins similaires, afin de maintenir l'équilibre des puissances, durant la guerre froide.
Mais dans la seconde moitié des années quatre-vingt, alors que les rapports entre les deux grandes puissances ont commencé à s'améliorer, le programme Bourane — le plus coûteux de toute l'histoire de l’exploration spatiale soviétique — a perdu sa raison d'être. Abandonné par le Kremlin, le programme spatial est progressivement tombé dans l'oubli, et il n'en reste plus aujourd'hui que des ruines, non loin de la ville de Baïkonour.
Voici quelques autres photographies, prises par David de Rueda, lors d'autres excursions dans cet endroit fascinant :
David de Rueda
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David de RuedaDavid de Rueda
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Ce premier décembre, David de Rueda a publié un documentaire sur l'urbex, tourné cette fois-ci aux États-Unis, à découvrir de ce pas :
Vivez un voyage au cœur de l'Amérique abandonnée et hors limites ! Urban Escape nous emmène à la rencontre d’explorateurs urbains et de leurs aventures les plus secrètes du haut des ponts de New York jusqu'aux friches portuaires de San Francisco. À bord d'un van, David et Mélanie vont rejoindre New York, Detroit, Nashville, Denver et San Francisco. Ils nous invitent à découvrir la face cachée des villes à travers une discipline riche en sensations fortes.