On nous explique souvent que l’une des raisons pour laquelle notre société actuelle attribue des rôles inégaux aux hommes et aux femmes, c’est parce que ce serait, avant tout, « ancré dans nos gènes ».
Ben oui, les hommes mettaient à profit toute leur puissance virile dans la traque et la chasse au mammouth laineux, tandis que les femmes restaient dans la grotte pour s’occuper des enfants et cuisiner le ragoût de rhinocéros à poils longs. Sauf qu’en fait, non.
Une étude récente a analysé les comportements de différentes tribus de chasseurs-cueilleurs modernes, afin de mieux comprendre ce mode de vie, et ils ont découvert que ces derniers opéraient en réalité ( et contrairement aux clichés que l’on pourrait avoir, ) d’une manière extrêmement égalitaire. Les chercheurs suggèrent également que l’inégalité hommes-femmes serait une aberration, qui serait apparue avec le développement de l’agriculture.
En fait, l’égalité des sexes — ce concept que l’on pense si récent — a même probablement été un avantage évolutif de taille pour les premiers peuplements d’humains, en agrandissant les connexions sociales… ce qui leur aurait permis, entre autres, de se distinguer des animaux.
Nos ancêtres de l’âge de pierre sont souvent représentés comme des créatures bourrues et sauvages, portant un gourdin dans la main tout en traînant sa femme par les cheveux de l’autre. Pourtant, en réalité, les premières sociétés humaines ont très probablement été fondées sur des principes égalitaires étonnamment très éclairés.
Une étude anthropologique a tenté de comprendre le fonctionnement de ces anciens peuples de chasseurs-cueilleurs, en étudiant les comportements sociaux des tribus de chasseurs-cueilleurs qui ont pu perdurer jusqu’à aujourd’hui. Et ils se sont rendus compte que les hommes et les femmes tendent à avoir une influence égale au niveau des décisions comme l’emplacement où le groupe s’établira, ou encore les personnes au contact desquelles ils vivront. Cette étude semble remettre en question l’idée communément admise que l’égalité des sexes est une invention récente, et suggère qu’au contraire, cette égalité a été la norme pour les humains, pendant la majeure partie de notre histoire évolutive.
Mark Dyble, anthropologue ayant également dirigé cette étude au sein de l’ University College London, explique ainsi : « Il y a encore cette perception générale que nous avons des chasseurs-cueilleurs, qui voudrait qu’ils soient plus machos ou du moins, que ces société soient dominées par les hommes. Nous pensons au contraire que ce ne fut qu’avec l’émergence de l’agriculture, lorsque les individus ont pu commencer à accumuler des ressources, que l’inégalité sexuelle est apparue. »
Selon lui, les découvertes récentes suggèrent plutôt que l’égalité entre les sexes a été un avantage de survie non négligeable, qui aurait joué un rôle considérable pour façonner la société humaine. « L’égalité des sexes fait partie d’une importante chaîne de changements majeurs au niveau de l’organisation sociale, qui ont permis d'améliorer les relations entre personnes. C'est grâce à cela que nous avons obtenus nos gros cerveaux « sociaux », et surtout le langage complexe, qui distingue l’être humain de l’animal. »
Pour comprendre comment se constituaient les groupes de chasseurs-cueilleurs, les chercheurs ont établi une modélisation informatique pour simuler les déplacements au sein des différents groupes, en se basant sur des données récoltées dans différents peuples suivant le même mode de vie.
Les personnes qui vivent de cette manière ont tendance à former des petits groupes d’une vingtaine de personnes, bougeant environ tous les 10 jours en se nourrissant de viande chassée, de poissons, de fruits et de légumes récoltés, et de miel.
Mais une chose leur a sauté aux yeux : dans ces campements, il y avait peu de personnes de la même famille, alors qu’ils s’attendaient à voir ces derniers peuplés de personnes proches génétiquement : les frères et sœurs, leurs parents, et leurs enfants.
En fait, lorsqu’un seul sexe influence le processus de l’établissement des groupes, comme c’est typiquement le cas dans les sociétés patriarcales agricoles ou pastorales, on voit apparaître une multitude de petits groupes consistant en individus de la même famille. Cependant, ces groupes sont beaucoup plus diversifiés lorsque les deux sexes ont une influence égale… Et c’était précisément le cas chez les populations étudiées.
« Lorsque ce sont uniquement les hommes qui choisissent avec qui ils vont vivre, le noyau de toute communauté est un réseau dense d’hommes qui sont proches et/ou de la même famille, avec leurs femmes en périphérie, » explique encore Mark Dyble. « Si les hommes et les femmes décident ensemble, par contre, il devient impossible d’avoir des groupes de quatre ou cinq frères qui vivent ensemble. »
Les auteurs défendent ainsi l’idée que l’égalité des sexes aurait été un grand avantage au cours de l’évolution pendant les débuts de la grande aventure humaine, permettant d’accéder à des réseaux de sociétés plus denses, favorisant davantage d’échanges et de coopération entre des humains de différentes familles.
« Cela a permis à nos ancêtres de connaître un plus grand panel d’autres individus, ce qui signifie un plus large choix de partenaires possibles, et moins de consanguinité. » explique encore le chercheur. « En etant en contact avec des groupes très différents, vous pouvez partager les connaissances et les innovations, ce qui est l’un des atouts par excellence de l’être humain. »
- Hé ! C'est MOI, le chasseur. TOI, t'es censée être la cueilleuse !
- Mais, il marchait sur les trucs que je voulais cueillir...
Ce serait donc lorsque les hommes se sont sédentarisés et sont passés à un mode de vie agricole que le déséquilibre est arrivé. Les hommes pouvaient pour la première fois accumuler des ressources pour vivre de façon plus confortable, mais également ils pouvaient avoir plus d’enfants que de femmes. Ils se rendent compte qu’ils gagnent un avantage en stockant et en accumulant des ressources, et c’est là seulement qu’ils commencent à devenir favorables à former des alliances avec leurs confrères masculins.
Dyble avance même que l’égalité des sexes est peut être bien l’un des facteurs importants qui a permis à nos ancêtres de se distinguer de leurs cousins primates.
« Les chimpanzés vivent dans des sociétés relativement agressives et patriarcales, avec un système de hiérarchie très clairement défini. C’est pourquoi ils ont du mal à faire passer la découverte d’outils aux futures générations : ils ne voient pas assez d’adultes au cours de leur vie pour que les technologies perdurent. »
Tout cela est appuyé par des observations concrètes sur les groupes étudiés : dans les tribus de chasseurs-cueilleurs des Philippines, par exemple, les femmes sont impliquées dans la chasse et dans la récolte du miel. Et même si il y a tout de même une division et une répartition des tâches en fonction des sexes, on remarque qu’au final les hommes et les femmes contribuent à part égale, en termes de quantité et de calories, aux différentes ressources alimentaires rapportées au camp. Dans les groupes étudiés, la monogamie est la norme et les hommes sont autant actifs que les femmes dans l’éducation et les soins apportés aux enfants.