Le Conseil européen agricole envisage d'assouplir les normes dans les productions issues de l'agriculture biologique, secteur en pleine croissance, afin de les rendre moins contraignantes pour les producteurs... et même éventuellement d'autoriser, dans certains cas, la présence de pesticides.
Une « régression inacceptable », jugent certains acteurs de la filière, inquiétante à la fois pour les consommateurs, mais aussi pour les producteurs partisans d'une agriculture strictement sans pesticides, dont les efforts se verraient ainsi réduits à néant.
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Les produits certifiés «agriculture biologique » séduisent de plus en plus les consommateurs français, ces derniers étant mieux que jamais sensibilisés aux problèmes environnementaux et sanitaires occasionnés par certaines pratiques agricoles. Parés de leurs petites pastilles vertes, les produits bio sont en outre de plus en plus démocratisés, accessibles à toutes les bourses, et leur consommation est en plein essor : aujourd'hui, on estime que sept consommateurs français sur dix consomment « régulièrement » des produits portant un label agriculture biologique !
Un marché d'avenir, porté par une croissance de plus de 20% rien qu'en 2016 et évalué à plus de 7 milliards d'euros... Ce qui, logiquement, attire aussi les convoitises.
Il existe plusieurs labels qui se réclament de l'agriculture biologique, et qui garantissent le respect d'un certain cahier des charges. Les plus répandus sont le label bio Européen, le label AB français (qui est globalement aligné sur le cahier des charges européen), et le label Bio Cohérence, lui aussi français, mais se voulant plus exigeant sur certains points.
Notre affaire concerne le label Européen (à gauche, la feuille constituée d'étoiles).
Ce lundi, à Bruxelles, le Conseil européen agricole examinait un texte de loi visant à définir les modalités de production, de transformation et de commercialisation pour réguler produits agricoles en Europe. Le projet, présenté aux différents ministres de l'agriculture, a notamment pour objectif de légiférer sur les réglementations et les normes en vigueur dans les différents pays d'Europe, pour permettre d'apposer le fameux label européen « agriculture biologique » sur les produits.
Cette certification Européenne permet normalement aux consommateurs de l'Union, qu'importe le pays d'origine, de s'y retrouver au moment de faire leur choix dans les rayons des magasins, et d'avoir la certitude que les aliments qu'ils achètent respectent certains critères, et sont élaborés selon des méthodes de production et de conditionnement jugées plus respectueuses de l'environnement et de la santé humaine : engrais naturels, absence d'agrotoxiques et de pesticides chimiques, méthodes d'agriculture durable, absence de conservateurs chimiques...
Crédits photo : Woman planting strawberries plants / Shutterstock
Mais voilà : les agriculteurs et les distributeurs du bio français dénoncent un « assouplissement » du cahier des charges, qui fait selon eux perdre sa légitimité à la certification « bio », en revoyant à la baisse certaines exigences et en ébranlant de fait les standards de qualité. Plus particulièrement mise en cause : une clause qui permettrait de laisser le seuil de pesticides autorisés à la libre appréciation de chaque État Européen, ce qui, dans les faits, pourrait induire de profondes disparités d'un État à l'autre.
Il faut savoir que pratiquer une agriculture bio demande aux producteurs de consentir à certains efforts et à certains sacrifices, en comparaison aux agriculteurs dits conventionnels : par exemple, la volonté de se passer de produits insecticides et fongicides chimiques implique une plus grande fragilité des cultures aux insectes ravageurs et aux maladies cryptogamiques. De même, l'absence d'engrais chimiques induit généralement des récoltes moins abondantes sur le court terme pour les partisans d'une agriculture paysanne, en comparaison avec les producteurs qui emploient ces technologies de fertilisation.
D'où le coup de gueule des partisans du bio français : si les normes sont trop assouplies, comment les agriculteurs qui s'acharnent à vouloir rester au 100% naturel peuvent-ils maintenir leur compétitivité, par rapport à leurs confrères qui se permettent certains petits "coups de pouce' chimiques ?
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Concrètement, le projet prévoit que les productions qui auraient pu être contaminées par des pesticides ne seront plus forcément déclassées du label bio. Chaque Etat pourra décider de ce seuil de tolérance, qui pourra donc en pratique différer selon les lieux de production. Et c'est bien ce point-là, en particulier, qui passe mal : en vertu du principe de la libre circulation des marchandises en Europe, certains produits contenant des pesticides pourront être vendus sous le label bio en France, tandis que les producteurs français auront des exigences plus élevées à satisfaire pour obtenir au final le même label.
S'ajoute à cela un assouplissement des contrôles. Si, actuellement, les producteurs sont contrôlés deux fois par an, le projet de règlement européen prévoit que ces contrôles puissent avoir lieu tous les 24 mois.
Alors, dans ces conditions, quelle crédibilité et quel avenir pour le label bio européen, s'interrogent ainsi les producteurs ? En effet, côté consommateurs, l'un des arguments phare de la consommation bio est la garantie de l'absence de pesticides dans les aliments. Et selon l'Agence Bio, 82% des consommateurs disent accepter de payer un peu plus cher les produits en échange de la garantie d'un contrôle annuel systématique. En revoyant ce critère, la confiance des consommateurs pourrait se trouver sérieusement érodée, avance le syndicat des distributeurs de produits bio (Synadis Bio) dans les colonnes du Parisien. « La baisse des contrôles abîmerait la confiance des consommateurs », plaide ainsi un porte-parole du collectif