Une infirmière livre un témoignage bouleversant des conditions de vie actuelles dans les hôpitaux

Aujourd’hui, 8 novembre, les infirmières et les infirmiers sont en grève. Les syndicats appellent en effet à une grève générale pour dénoncer les coupes budgétaires, les suppressions de postes, et le manque de reconnaissance et de respect  général des pouvoirs publics pour cette profession.

Ainsi, le gouvernement parle de 22 000 suppressions de poste dans les hôpitaux en 2017. Quand on voit que le personnel hospitalier est déjà en sous-effectif, on se demande comment une telle chose est possible ? D’autant que le travail de ces hommes et de ces femmes est d’une importance cruciale : l’accès aux soins pour tous et la possibilité d’être pris en charge dans de bonnes conditions pour les personnes souffrantes, sont l’un des premiers devoirs d’une société qui prétend accorder un minimum de valeur à l’être humain.

C’est cela qui provoque un ras-le-bol généralisé, bien compréhensible, dans la profession : les infirmières sont à bout, souvent mal payées, doivent en outre se plier à des horaires et à des conditions de travail absurdes, tout en ayant une forte pression psychologique pesant au-dessus d’elles. Le milieu du personnel hospitalier connaît en outre une alarmante vague de suicides.
 

Une grève des infirmières avait déjà eu lieu en 2013 — Photo Camille Bordenet


Céline Laville, dans une tribune au Nouvel-Observateur, explique ainsi pourquoi elle sera avec ses collègues dans la rue, ce mardi 8 novembre 2016. Parmi les principales raisons invoquées, cette infirmière en poste depuis 2004 explique qu’elle « ne veut plus rentrer chez (elle) après une journée de travail en pleurant » et qu’elle souhaite « retrouver le côté humain de son métier ».


« Aujourd'hui, j'ai du mal à trouver du sens à mon travail, explique-t-elle dans les pages de l’Obs. Je fais toujours plus de traçabilité et de papiers administratifs qui sapent le côté humain de mes soins. Je n'ai plus le temps de parler avec les patients. Je n'ai plus le temps de faire de la relation d'aide, ce qui permet de soigner l'âme en même temps que le corps. »


Patients, soignants, même combat !



Elle qui travaille au service de chirurgie ORL et ophtalmologique, elle regrette le manque de reconnaissance de sa profession, les pressions budgétaires et le manque de moyens dégagés pour les hôpitaux. Cela l’attriste d’autant plus qu’elle dit aimer son métier au plus haut point, et qu’elle n’aspire qu’à pouvoir s’occuper convenablement de ses patients.

Car ce n’est pas, selon elle, un problème qui concerne les seuls membres du personnel hospitalier… mais bien aussi les patients, qui sont en première ligne et qui sont les premiers à trinquer et à subir les conséquences de la dégradation des conditions de travail dans les hôpitaux ! C’est-à-dire que cela concerne bien potentiellement tout un chacun — nous, ou quelqu’un de notre famille, pouvons avoir un problème de santé à n’importe quel moment et nous retrouver à l’hôpital. Pour Céline Laville, « les patients ont besoin d'humain » avant tout, et il est difficile pour un infirmier ou une infirmière de leur offrir un moment d’écoute et d’attention sincère en travaillant dans les pires conditions qui soit. Conséquence : des patients traités à la va-vite ou sans aucune empathie réelle, parce que les personnes qui les prennent en charge sont elles-mêmes en souffrance.

Ainsi, l’infirmière relate un échange troublant qu’elle a eu avec un couple dont le mari avait été opéré d’un cancer à la gorge. C’était en plein mois d’août, et il faisait une chaleur écrasante dans l’hôpital, privé de climatisation, de ventilateurs ou d'air rafraîchi, le bâtiment étant «  trop vieux » pour cela. Tombée malade mais tout de même contrainte d’enchaîner les services, elle se retrouve face à son patient et sa conjointe pour leur parler de la maladie… et craque :

« Pour apaiser les angoisses de ce couple, je prends le temps d'expliquer ce qui s’est passé et ce qui va se passer maintenant dans la prise en charge. Je leur parle pendant une demi-heure. Ma voix s'affaiblit de plus en plus et les larmes se mettent à couler sur mes joues sans que je puisse les retenir. À ce moment-là, la femme du patient pose sa main sur mon bras et me dit : "Ça va aller madame ?". Je me rends compte à cet instant précis que le monde tourne à l'envers. Ce n'est pas au patient et à leur famille de nous demander si nous allons bien ! »

Photo AFP


Il ne s’agit pas du seul exemple hallucinant donné par cette infirmière : sur 8 heures de travail, raconte-elle, il lui est arrivé de ne pas avoir ni le temps de boire, de manger, ou même d’uriner !

« Il m'arrive souvent de me demander pourquoi j'ai choisi ce métier. Est-ce que je vais tenir longtemps ? Dans quel état serai-je en fin de carrière ? Quand est-ce que la fatigue me poussera à la faute médicale ?

Mais lorsque je me trouve devant un patient qui me remercie pour mon sourire ou pour la blague que je lui ai fait en début d'après-midi pour détendre l'atmosphère, à ce moment précis, je me rends compte qu'aucun autre métier ne m'apporterait cela. C'est dans mes tripes, je suis infirmière. »


« Je soigne des êtres humains, pas des machines »


Plus que tout, Céline Laville dénonce le cynisme des pouvoirs publics face à la situation des malades, aux émotions des patients, tout en demandant aux infirmiers d’être « rentables » et d’être plus efficaces :

« Je ne veux plus entendre parler de rentabilité et de tarification à l'acte. Je suis infirmière et je soigne des êtres humains, pas des machines. Je ne travaille pas dans une usine. Je m'occupe de personnes en fin de vie et je veux avoir le temps de leur tenir la main. Voudriez-vous que votre mère, votre père ou votre enfant meure seul à l'hôpital sans un professionnel formé à cet accompagnement à côté de vous ? »


Via Huffington Post


Qu’on se le dise : les membres du personnel soignant sont des super-héros du quotidien, qui font un travail remarquable le plus souvent. Mais, prévient Céline Laville, il ne faut pas oublier qu’ils ont aussi des sentiments, sont des êtres humains et qu’à force de devoir travailler sans relâche, sans aucun soutien extérieur et sans se sentir reconnus, il est normal que beaucoup pètent les plombs.

« Je suis humaine et j'ai des limites, conclut Céline. Ces limites, si elles ne sont pas respectées, pourraient me mettre psychologiquement à mal. Et là, je pense à notre collègue Emmanuelle qui a mis fin à ses jours pour des raisons similaires, car son établissement n'a pas voulu entendre ses limites humaines. Quand serons-nous pris pour autre chose que des pions sur un échiquier ? »

Avant de s’interroger : « Est-ce qu'un jour, moi aussi, je penserai au suicide ? »

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Journaliste