Si vous êtes familier du film allemand La Vague, l’histoire qui suit devrait vous rappeler quelque chose. Depuis plusieurs années, Dina Leygerman, professeure dans un lycée aux États-Unis, réalise une petite expérience avec sa classe de terminale. Avant de leur faire étudier le chef-d’œuvre prophétique de George Orwell intitulé 1984, paru en 1948, Dina met en place une dictature simulée au sein de ses élèves, dans laquelle elle représente la figure d’autorité suprême, l’équivalent de Big Brother.
En les plongeant dans des conditions autoritaires, elle étudie leur comportement tout en les plongeant dans des circonstances proches de celles auxquelles Winston, le protagoniste du roman d’Orwell, est confronté. Toutefois, Dina a constaté que cette année, l’expérience ne s’est pas soldée comme d’accoutumée, tel qu’elle le raconte sur la plateforme Medium.
Seuls contre tous : les professeurs, l’administration, toute l’école est de mèche et participe à la simulation de Dina Leygerman, formant un mur totalitaire inébranlable, celui contre lequel viennent se fracasser liberté de pensée et d’expression au profit du prétendu bien commun. En les confrontant à une dictature, chaque année, Dina cherche à provoquer une réaction, à faire comprendre à ses élèves à quel point la liberté est précieuse et à les pousser à se battre pour elle au mépris de toute autorité. Aucune entité, aucune personne n’a la légitimité de priver des individus de leur liberté, même si c’est au nom du sacro-saint bien de tous. Aucune classe n’était parvenue à se libérer du joug de Dina... du moins jusqu’à cette année.
« J’explique aux élèves qu’afin de les aider à réussir, je dois mettre en place des règles strictes dans la classe. Ils doivent lever la main avant de faire quoi que ce soit, même demander un crayon à un autre élève. Ils perdent des points chaque fois qu’ils ne se comportent pas comme ils le devraient. Ils gagnent des points en dénonçant les autres élèves. Si quelqu’un ne respecte pas la règle et que je ne m’en aperçois pas, c’est le devoir des autres élèves de me le faire savoir. Ces élèves gagnent des points bonus. Je dis aux élèves que pour que le plan marche, ils doivent "avoir confiance dans le processus et ne pas remettre en question leurs professeurs". »
L'une des affiches placardées par Dina Leygerman dans son lycée. Crédit photo : Dina Leygerman
Comme dans le livre d’Orwell, Dina a accroché des affiches propagandistes, dictant la conduite à suivre, donnant à voir des yeux fixant les élèves pour leur rappeler qu’ils sont constamment surveillés, et qu’ils doivent dénoncer ceux qui ne rentrent pas dans le rang. Bien sûr, tout ceci serait dans leur plus grand intérêt : combattre la « senioritis », terme anglo-saxon désignant la chute de motivation que peuvent ressentir des étudiants vers la fin de leur parcours scolaire.
« Cette année, les résultats étaient différents. Cette année, une poignée d’étudiants est rentrée dans le rang, comme toujours. La majorité des étudiants s’est cependant rebellée. Au deuxième jour de la simulation, les étudiants ont contacté des membres de l’administration, écrit des lettres et créé des posters de protestation. Ils s’organisaient contre moi, et contre l’administration. Ils tapaient du pied dans les couloirs, refusant de faire ce qu’on leur disait. »
Le président de l’association des étudiants à qui Dina n’enseigne même pas lui a envoyé un mail exigeant la fin du « programme », expliquant qu’il ne constituait que « du pur fascisme » et que l’école tout comme le pays ne pouvaient être assujettis à de telles attitudes totalitaires.
« J’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour mater leur rébellion. J’ai soudoyé le président de l’association des étudiants, l’ai forcé à démissionner publiquement. Et pourtant, les étudiants n’ont pas reculé. Au contraire, ils se sont battus encore plus. Ils étaient plus vigilants. Ils se sont mieux organisés. Ils ont trouvé un nouveau leader. Plus que jamais, ils étaient prêts à se battre. Il savait que comme ils étaient plus nombreux, ils finiraient par l’emporter. »
Sur Medium, Dina a conclu son article en expliquant qu’elle a été contrainte de mettre fin à la simulation deux jours plus tôt que prévu, deux jours plus tôt que d’habitude, tant la rébellion était écrasante.
« Pour la première fois depuis que je réalise cette expérience, les étudiants ont « gagné » »
Emma Gonzalez, lycéenne de 18 ans survivante du massacre de Parkland qui lutte activement contre les armes, la NRA, et Donald Trump. Crédit photo : Rhona Wise / Getty Images
Citant Emma Gonzalez dans son article, la lycéenne de 18 ans rescapée de la fusillade de Parkland qui s’est insurgée contre Donald Trump et la loi réglementant le port d’arme aux États-Unis, Dina Leygerman en a déduit que contrairement à ce que l’on peut croire dans le monde dans lequel nous vivons, les adultes ont énormément à apprendre des jeunes de la génération actuelle, prêts à aller jusqu’au bout pour ce qu’ils estiment juste, pour leur droit, au mépris de toute autorité dite légitime ou supérieure sur des fondements arbitraires.
« Soutenez leur rébellion. Ils sont nos meilleurs alliés »