Le 22 février dernier, Edita Bizama, 64 ans, a enfin pu renouer avec sa fille, adoptée illégalement à sa naissance par une famille américaine en 1984. Adamary Garcia fait partie des 20 000 enfants chiliens, sous la dictature d’Augusto Pinochet, qui ont été arrachés à leur famille.
Leur ressemblance ne laisse aucun doute sur leur lien. Pourtant, il fut un temps où ce lien n’avait guère d’importance, notamment aux yeux du gouvernement militaire chilien, dirigé par Augusto Pinochet. Entre 1950 et 1990, ce sont environ 20 000 enfants chiliens qui ont été arrachés à leur famille pour être adoptés illégalement par des familles américaines.
Sous le joug du dictateur, les adoptions internationales étaient considérées comme un moyen de réduire la pauvreté infantile au Chili. En 1984, Edita Bizama avait déjà deux jeunes enfants lorsqu’elle tomba enceinte une nouvelle fois. Une assistante sociale l'encourage alors à s'en séparer en remettant en cause ses capacités à assumer financièrement un autre enfant.
Si elle refuse de céder à cette option, on ne lui a finalement laissé aucun choix. Cinq jours après avoir accouché, Edita est emmenée dans un bureau, à quelques heures de chez elle, et se retrouve forcée de remettre son bébé avant d’être renvoyée seule dans un bus vers sa ville natale.
"Ils m'ont emmenée de l'hôpital à un bureau ou un tribunal, ont pris mes coordonnées et ont emporté le bébé. Ils me l'ont pratiquement arraché des bras"
Une ONG créée pour reconnecter les familles
Edita ne reverra plus sa fille, cachant même cet enlèvement à la plupart de sa famille pendant des décennies. Puis, il a suffi qu’une histoire similaire résonne pour lui donner de l’espoir. Elle entend parler de l’histoire de Tyler Graf, un pompier texan qui a découvert avoir été enlevé pendant qu’il était bébé au Chili. Les bébés étaient confiés à des étrangers prêts à payer jusqu'à 40 000 dollars (environ 38 000 euros) pour une adoption présentée comme légale.
Cette découverte l’encourage à lancer une ONG baptisée “Connecting Roots”, destinée à reconnecter les personnes adoptées avec leurs familles biologiques au Chili. Jusqu’à présent, la fondation a résolu 36 cas, dont celui d’Adamary Garcia.
Adamary Garcia a grandi en Floride et vit aujourd’hui à Porto Rico. Elle a toujours su qu’elle avait été adoptée mais n’avait jamais eu vent des circonstances. C’est en lisant un rapport sur le vol de bébés au Chili qu’elle commence à faire des recherches sur sa famille biologique.
Des retrouvailles émouvantes
Ainsi, grâce à un certificat de naissance de la soeur d’Adamary et une confirmation par test ADN, l’ONG a réussi à identifier Edita comme étant la mère biologique d’Adamary. Quarante ans après son enlèvement et son adoption, Adamary découvre enfin le visage de sa mère biologique lors d’un échange sur Zoom :
“Nous nous regardions tous les uns les autres sans dire grand-chose. Je regardais ma mère dans les yeux et je me disais : ‘C’est la personne qui m’a donné la vie et, oh mon Dieu, je lui ressemble tellement”
'I knew she'd find me': After 40 years, Edita Bizama reunites with her daughter, Adamary Garcia, who was taken from her during Chile's dictatorship and adopted abroad https://t.co/YzHT8BD9Sj pic.twitter.com/Ihgsq3G3zd
— Reuters (@Reuters) February 25, 2025
Le 22 février dernier, Adamary a pris l’avion pour atterrir à Santiago, capitale du Chili, où elle a enfin rencontré Edita. Les deux femmes ont tout simplement fondu en larmes. Si la ressemblance physique est flagrante, Adamary parle un espagnol portoricain assez différent de l’accent chilien très caractéristique de sa famille biologique.
Adamary compte désormais suivre un cours intensif d’argot, de cuisine, de musique et de culture chilienne. Elle projette également de faire un voyage à travers la Patagonie avec ses sœurs afin de se reconnecter avec son pays natal.
À ce jour, aucune condamnation n'a été prononcée dans cette affaire d’enlèvements d’enfants, orchestrée par une véritable mafia impliquant des médecins, des travailleurs sociaux et des juges. À certaines mères, après avoir accouché, on annonçait que leur bébé “était mort sans jamais leur rendre le corps”, comme l’explique à l'AFP Juan Luis Insunza, vice-président de Connecting Roots.