« Nous nous sommes retirés trop tard de Syrie » : accusé d'avoir indirectement collaboré avec l'EI en privilégiant ses intérêts économiques et son chiffre d'affaires, parfois au détriment de la sécurité de ses employés, le groupe Lafarge fait face à de graves déboires judiciaires. Cynisme absolu, violation de l'embargo, pots-de-vin versés à une entreprise terroriste : les faits qui lui sont reprochés sont graves, tant sur le plan moral que judiciaire. Beat Hess, président du conseil d'administration du groupe depuis 2016, a reconnu les « erreurs » du groupe.
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Accusé d'avoir versé de l'argent à Daesh afin de pouvoir faire perdurer son activité en Syrie entre 2012 et 2014, le cimentier franco-suisse se retrouve aujourd'hui embourbé jusqu'au cou. Vendredi dernier, trois cadres de Lafarge ont été mis en examen. Le groupe aurait-il fait le choix de subventionner indirectement le terrorisme, afin de pouvoir continuer à faire tourner ses usines dans le pays en guerre ? C'est en tout cas ce qu'affirment certaines sources concordantes ainsi que des témoignages d'employés syriens.
Si l'enquête judiciaire devrait à présent permettre de faire toute la lumière sur les activités de la multinationale au cours de cette période, Beat Hess, le président du groupe Lafarge, a d'ores et déjà exprimé son repentir lors d'une entrevue accordée aujourd'hui au Figaro.
« Il y a eu des erreurs inacceptables que le groupe regrette et condamne, admet Beat Hess, interrogé par le quotidien. C'est certes plus facile à dire avec le recul, mais le groupe s'est sûrement retiré trop tard de Syrie. »
Le président du conseil d'administration du groupe Lafarge a déclaré s'en remettre à la justice française pour éclaircir les zones troubles de cette affaire, qu'il définit comme « un problème pour la réputation [du] groupe, notamment en France », tout en insistant sur le fait que Lafarge avait lancé une enquête interne dès la découverte de l'affaire.
Il qualifie malgré tout les actions qui lui sont reprochées de « cas exceptionnel » — des déclarations qui entrent en contradiction avec celles de nombreux témoins à charge, à l'instar de cet employé qui affirmait l'année dernière au Monde que Lafarge versait « des taxes à l'organisation Etat Islamique afin de continuer à fonctionner pendant la guerre ».
Selon le journal, Lafarge se serait acquitté de pots-de-vin de plusieurs dizaines de milliers d'euros pour négocier des droits de passage, pour permettre à ses camions, employés et marchandises de continuer à circuler dans les zones contrôlées par l'EI. Un « laissez-passer estampillé du tampon de l'EI » aurait été remis aux employés afin de faciliter leur passage dans les checkpoint. Reste à savoir si la direction avait réellement connaissance de ces agissements, où s'il s'agissait d'initiatives isolées des responsables locaux.
Outre les accusations d'avoir indirectement financé le terrorisme, l'entreprise est également pointée du doigt pour avoir acheté du pétrole mais aussi des matières premières, telles que du sable et de la pouzzolane, aux terroristes de Daesh. Lafarge aurait soutenu l'organisation terroriste, non pas évidemment par volonté idéologique, mais par pur intérêt économique. Entre 2010 et 2014, à cause de la guerre, le prix du ciment est monté en flèche, passant de 0,84€ le sac à 3,77€.
Alors que la plupart des entreprises françaises et internationales pliaient bagage, désertant la Syrie en guerre, Lafarge est soupçonnée d'avoir pris le pari assez cynique d'assurer sa production coûte que coûte, en misant sur le marché qui s'ouvrirait ensuite lors de la reconstruction du pays dévasté par des années de guerre civile.
L'entreprise est par ailleurs également accusée d'avoir délibérément mis en danger ses employés syriens, les forçant à traverser des zones extrêmement dangereuses pour continuer d'assurer la bonne marche de la filière. « Ils m'ont forcé à aller au travail en menaçant de me licencier, même s'il y avait des problèmes dans les allers-retours à l'usine avec les groupes armés, et que les routes étaient dangereuses » , affirme C., un employé syrien dont le témoignage a été relayé par l'Express. Le journal, qui a eu accès aux déclarations de plusieurs témoins, rapporte qu'au cours de l'été 2014, Lafarge aurait suspendu les salaires des employés qui refusaient de se rendre au travail pour des raisons de sécurité.