Alors que l'on rendait hommage mercredi 9 janvier aux victimes de l'attentat antisémite de l'Hypercacher survenu il y a trois ans, un constat déplorable est tombé : la communauté juive d'île-de-France préfère déménager dans des quartiers où elle se sent plus en sécurité.
Des membres de la communauté juive devant l'entrée de la synagogue de Sarcelles / Lucien Lung
Depuis l'attentat à l'Hypercacher de Porte de Vincennes, la communauté juive se sent sur le qui-vive. Bien que les actes antisémites constituent un phénomène en baisse en 2017, l'antisémitisme ordinaire, lui, persiste. Selon le ministère de l'Intérieur, on dénombrait en 2016, 335 actes antisémites alors qu'en 2015 on en comptait plus de 800. Une chute nette mais qui n'empêche pas à ces actes, motivés par la haine, de joncher l'actualité.
Alors, afin de pallier son sentiment d'insécurité, la communauté juive fait donc de plus en plus le choix de déménager dans des quartiers où la sérénité est plus évidente. Ainsi, les juifs de l'Est parisien ont décidé de migrer vers l'Ouest, faisant de Sarcelles et le 17 ème arrondissement, en particulier, leurs quartiers de prédilection. En ce sens, François Pupponi, député du Val d'Oise a assuré que « chaque mois plusieurs dizaines de demandes de relogements » étaient enregistrées. Quant au 17ème arrondissement, la multiplication des restaurants et épiceries casher est observée et un centre européen du judaïsme doit bientôt y être inauguré. Murielle Gordon-Schor, adjointe au maire du 17e arrondissement et vice-présidente du Consistoire israélite de France est formelle, " les soirs de shabbat, les gens se promènent en kippa, ils ne se cachent pas, ils n'ont pas peur. La peur n'existe pas ici. »
« Comme on ne sait pas d'où ça peut venir, on est tout le temps aux aguets, en train de surveiller la maison, à se lever en pleine nuit dès qu'il y a du bruit dehors pour voir ce qui se passe » , rapporte Daniel à Europe 1. « On est sur le qui-vive constamment. On sort de la maison pour voir s'il n'y a pas quelqu'un qui vous guette dehors et c'est stressant. Nous, on ne se sentait pas protégés. On a préféré déménager. » La raison ? À son retour de vacances, Daniel, qui habitait à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis), a retrouvé une lettre qui contenait une balle de kalachnikov. Puis, des tags explicites se retrouvent inscrits sur sa maison : « la prochaine balle sera pour vous ! À mort les juifs ! » .
« Sur une quinzaine d'années, des effectifs de populations ou de familles juives se sont effondrés dans toute une série de communes de Seine-Saint-Denis »
Jérôme Fouquet, directeur du département opinion de l'Ifop à l'Agence France presse l'affirme : ce n'est pas un cas isolé. Et selon les données qu'il possède, provenant d'associations juives, nombre de quartiers ont vu les chiffres de la communauté juive présente, largement baisser. « À Aulnay-sous-Bois, le nombre de familles de confession juive est ainsi passé de 600 à 100, au Blanc-Mesnil de 300 à 100, à Clichy-sous-Bois de 400 à 80 et à La Courneuve de 300 à 80 »
Des événements traumatisants
« L’antisémitisme n’est pas neuf, il est ancien. Il n’est pas superficiel, il est comme enraciné. Mais il est bel et bien vivant et il se dissimule toujours derrière de nouveaux masques », avait déclaré le Premier ministre Edouard Philippe en décembre, lors d’une convention nationale du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif).
Et alors que l'on indique que l'antisémitisme est une tendance orientée à la baisse, les quelques actes qui subsistent n'en sont pas moins traumatisants. À cet effet, le caractère quantitatif des événements survenus au cours des dernières années ne consiste pas réellement un indicateur à prendre en compte. Selon Frédéric Potier, chef de la Dilcrah (Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l'Antisémitisme et la Haine anti-LGBT) « il faut sortir de l’aspect purement quantitatif : on sait que l’affaire Sarah Halimi (du nom de cette femme juive assassinée par défenestration en avril dernier à Paris) a traumatisé des familles entières, alors que dans les chiffres, ça ne fait qu’un acte »
En 2006, on faisait ainsi face à la montée des actes antisémites avec l'enlèvement et le meurtre d'Ilan Halimi. Ce meurtre constitue le premier crime envers un individu parce que juif sur le territoire français, depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Puis en 2012, la conscience d'un « antisémite nouveau » nommé par Manuel Valls inquiète l'opinion publique. Cette année-là, des enfants juifs sont tués. À Toulouse, à l'école juive Ozar Hatorah, c'est la première fois depuis la fin de la guerre que des enfants sont tués en France parce qu'ils sont juifs. À l’époque des faits, quelques semaines avant, une grenade avait été lancée en pleine journée dans une supérette casher à Sarcelles.
Manifestation à la mémoire d'Ilan Hamili le 26 février 2006 / Olivier Lévy
Le 9 janvier 2015, trois jours après l'attentat de Charlie Hebdo, l'antisémitisme frappait à nouveau. L'Hypercacher situé à porte de Vincennes est pris d'assaut et quatre otages de confessions juives sont assassinés. Un traumatisme encore très marqué en France. Plus récemment, en 2017, Sarah Halimi, mère de trois enfants est torturée défenestrée en raison de sa confession par un voisin. Un événement qui n'avait reçu que très peu d'attention médiatique alors qu'il s'était déroulé en pleine campagne présidentielle. « Un pays où il est redevenu possible d’assassiner des Juifs sans que nos compatriotes ne s’en émeuvent outre mesure » et « l’atmosphère déliquescente qui règne au pays de Dieudonné » avait déploré Alexandra Laignel-Lavastine, philosophe et écrivain. François Hollande avait alors déclaré que « l'antisémitisme n'est pas une opinion, c'est une abjection. Pour cela, il doit d'abord être regardé en face. Il doit être nommé et reconnu pour ce qu'il est. Partout où il se déploie, il sera démasqué et puni.» Encore plus récemment, dans la nuit du lundi 8 au mardi 9 janvier, un incendie est survenu dans une épicerie casher à Créteil.
Hyper Cacher porte de Vincennes / Crif.org