« Comment vous savez qu'elle est enceinte ? » L'histoire improbable (et écœurante) d'un secouriste de montagne retenu par les douaniers alors qu'il transportait une migrante, en train d'accoucher, à l'hôpital

À Briançon, dans les Hautes-Alpes, un pisteur secouriste raconte comment il a été empêché par la police de conduire une femme enceinte à l'hôpital. Elle était en train d'accoucher, en pleine montagne. Pendant plus d'une heure, et alors qu'elle se tordait de douleur sur le siège avant du véhicule à cause des contractions, les policiers l'ont retenu, à quelques centaines de mètres du centre hospitalier, sans rien vouloir savoir de la situation, afin de poursuivre leur contrôle routier.

L'histoire vous paraît absurde, à peine croyable ? Et pourtant, elle est malheureusement bien vraie. La femme en question était une migrante. Le pisteur secouriste, qui n'a fait que porter assistance à une personne en danger et accomplir un geste d'une humanité la plus basique, s'est retrouvé remercié en étant prestement emmené au poste. Il a été convoqué hier au poste de la police aux frontières.

Pour les autorités françaises, empêcher une personne de mourir frigorifiée ou de faire une fausse couche en pleine montagne fait de vous un « passeur », un criminel.

Publié par Tous Migrants sur mercredi 14 mars 2018




Un peu plus d'humanité aux frontières — ou en tout cas, un minimum de décence basique : c'est ce que réclament dans une pétition les milliers de soutiens à Benoît Ducos, pisteur secouriste de Briançon, dans les Hautes-Alpes. Près de la frontière franco-italienne, dans ce lieu par lequel les migrants sont nombreux à transiter, le secouriste effectuait bénévolement une maraude en montagne afin, justement, de repérer les personnes en danger.

Pour avoir porté secours en pleine montagne à une migrante enceinte, et l'avoir amené en urgence à l'hôpital alors qu'elle était sur le point d'accoucher, Benoît Ducos a été arrêté et convoqué hier par la police. Une manifestation de soutien a été organisée devant les locaux de la police aux frontières (PAF).

Alors même que la femme était en train de se tordre de douleur sur le siège passager de la voiture, les douaniers l'ont empêché pendant plus d'une heure de l'amener à l'hôpital… pourtant situé à quelques centaines de mètres.

Dans un message publié sur Facebook, largement relayé par les internautes, le pisteur secouriste raconte sa mésaventure… ainsi que la naissance du premier « bébé des maraudes » :

 
« Une maraude ordinaire comme il s'en passe tous les jours depuis le début de l'hiver.

Au pied de l'obélisque, une famille de réfugiés marche dans le froid. La mère est enceinte. Elle est accompagnée de son mari et de ses deux enfants (2 et 4 ans). Ils viennent tout juste de traverser la frontière, les valises dans une main, les enfants dans l'autre, à travers la tempête. Nous sommes 2 maraudeurs à les trouver, à les trouver là, désemparés, frigorifiés. La mère est complètement sous le choc, épuisée, elle ne peut plus mettre un pied devant l'autre. Nos thermos de thé chaud et nos couvertures ne suffisent en rien à faire face à la situation de détresse dans laquelle ils se trouvent.

En discutant, on apprend que la maman est enceinte de 8 mois et demi. C'est l'alarme, je décide de prendre notre véhicule pour l’emmener au plus vite à l'hôpital. Dans la voiture, tout se déclenche. Arrivés au niveau de la Vachette (à 4 km de Briançon), elle se tord dans tous les sens sur le siège avant. Les contractions sont bien là… c'est l'urgence. J’accélère à tout berzingue. C'est la panique à bord.

Lancé à 90 km/h, j'arrive à l'entrée de Briançon… et là, barrage de douane. Il est 22 heures. « Bon sang, c'est pas possible, merde les flics ! ». Herse au milieu de la route, ils sont une dizaine à nous arrêter. Commence alors un long contrôle de police. « Qu'est ce que vous faites là ? Qui sont les gens dans la voiture ? Présentez-nous vos papiers ? Ou est ce que vous avez trouvé ces migrants ? Vous savez qu'ils sont en situation irrégulière ! ? Vous êtes en infraction !!! »

Un truc devenu habituel dans le Briançonnais. Je les presse de me laisser l'emmener à l'hôpital dans l'urgence la plus totale. Refus ! Une douanière me lance tout d'abord « comment vous savez qu'elle est enceinte de 8 mois et demi ? » puis elle me stipule que je n'ai jamais accouché, et que par conséquent je suis incapable de juger l'urgence ou non de la situation. Cela m'exaspère, je lui rétorque que je suis pisteur secouriste et que je suis à même d'évaluer une situation d'urgence. Rien à faire, la voiture ne redécollera pas. Ils finissent par appeler les pompiers. Ces derniers mettent plus d'une heure à arriver. On est à 500 mètres de l'hôpital. La maman continue de se tordre sur le siège passager, les enfants pleurent sur la banquette arrière. J'en peux plus. Une situation absurde de plus.


Il est 23 heures passé, les pompiers sont là… ils emmènent après plus d'une heure de supplice la maman à l'hosto. Les enfants, le père et moi-même sommes conduits au poste de police de Briançon à quelques centaines de mètres de là. Fouille du véhicule, de mes affaires personnelles, contrôle de mon identité, questions diverses et variés, on me remet une convocation pour mercredi prochain à la PAF de Montgenèvre. C'est à ce moment-là qu'on m'explique que les douaniers étaient-là pour arrêter des passeurs. Le père et les deux petits sont quant à eux expulsés vers l'Italie.

Pendant ce temps-là, le premier bébé des maraudes vient de naître à Briançon. C'est un petit garçon, né par césarienne. Séparé de son père et de ses frères, l'hôpital somme la PAF de les faire revenir pour être au côté de la maman. Les flics finissent par obtempérer. Dans la nuit, la famille est à nouveau réunie.

La capacité des douaniers à évaluer une situation de détresse nous laisse perplexe et confirme l'incapacité de l’État à comprendre le drame qui se trame à nos maudites frontières. Quant à nous, cela nous renforce dans la légitimité et la nécessité de continuer à marauder… toutes les nuits. »

Briançon, sous-préfecture des Hautes-Alpes, est devenu en l'espace de quelques mois l'une des principales voies de passage pour les migrants qui transitent depuis l'Italie. Alors que le passage de ces derniers était auparavant concentré sur la vallée de la Roya, dans les Alpes-Maritimes, les renforcements de la frontière franco-italienne les ont conduits à trouver de nouveaux points de passage.

Les réfugiés, hommes, femmes et enfants, sont ainsi conduits à traverser à pied le col de Montgenèvre, culminant à 1 800 mètres d'altitude. En plein hiver, et à travers une couche épaisse de neige, l'opération peut s'avérer dangereuse, voire mortelle… d'autant que les migrants sont souvent mal chaussés, mal équipés, et traversent généralement en pleine nuit.

Comme beaucoup de guides, de pisteurs secouristes et d'autres bénévoles de cette région frontalière, Benoît a choisi d'utiliser sa connaissance de la montagne pour tenter de sauver des vies. Avec le Collectif Refuge Solidaire, ils constituent des petits groupes afin d'effectuer des maraudes tous les soirs, et scruter la montagne. Lorsqu'ils aperçoivent des personnes en danger, ils interviennent afin de leur porter secours.

Même si ces secouristes bénévoles œuvrent de manière désintéressée, pour la Police aux frontières, ils sont souvent assimilés à des « passeurs », et risquent donc potentiellement des poursuites s'ils sont aperçus en train de leur porter assistance…


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