Appelés « Tom » et « Jane » en fonction de leur sexe et jamais « Monsieur » ou « Madame », les noirs se heurtaient à des panneaux « les Nègres et les chiens ne sont pas admis ». Pérsécutés, tués et lynchés de 1877 à 1950 (si l'on s'en réfère uniquement aux dates), aucun monument national ne leur avait rendu hommage. Aujourd'hui, un mémorial en leurs noms, pour leurs vies, leurs corps, voit le jour dans l'Alabama, un Etat historiquement esclavagiste et ségrationniste. Un mémorial qui tend au respect, à la justice et la paix. Pour tous les Monsieurs et les Madames qui méritent de n’être jamais oubliés.
1/8 I’m in Montgomery, Alabama for the opening of the National Memorial for Peace and Justice. It’s deeply moving, and could inspire the healing of ancient wounds in the US, county by county. pic.twitter.com/C4AZ3YX5r2
— Chris Anderson (@TEDchris) 26 avril 2018
S'asseoir à la même place qu'un blanc. Bousculer un blanc. Porter un uniforme de l'armée. Boire à la même fontaine qu'un blanc. Jurer sur la même Bible qu'un blanc. Autant de choses auxquelles, si un noir s'y risquait, provoquait la colère de la foule et le risque de se faire lyncher, tuer. Aux États-Unis, alors que l'esclavage était aboli 12 ans auparavant, le corps, l'âme, les idées de quatre mille Afro-Américains appartenaient aux blancs. En plus d'avoir été tués parce que noirs, leurs noms n'ont jusqu'alors pas été connus. Bryan Stevenson, avocat et fondateur de l'organisation Equal Justice Initiative, une organisation juridique qui défend les plus faibles depuis 1989, entend bien changer la donne. Ce jeudi 26 avril a ouvert le Mémorial National de la Paix et de la Justice.
Les Américains n'ont jamais rien vu de tel. C'est dans l'Alabama, à Montgomery, que le mémorial national a vu le jour. Un symbole lorsque l'on sait les ancêtres racistes de cet État. 2,5 hectares dédiés aux victimes de la suprématie blanche. 2,5 hectares pour se rappeler les atrocités que les blancs ont perpétrés sur les corps noirs. Un grand immeuble marron qui abrite une galerie de 801 colonnes en acier. Ces colonnes représentent les comtés américains où ont été perpétrés ces crimes, ainsi que les noms des victimes gravées. Et plus vous avancerez, plus le sol descendra. Vous avec, vous laissant vous mettre à la place d'un spectateur d'un lynchage.
À CBS, Bryan Stevenson racontait d'où lui venait l'envie de créer un tel lieu : « Nous voulons nommer les victimes du lynchage. Nous voulons parler de gens comme Elizabeth Lawrence, qui a été lynchée parce qu'elle a grondé des enfants qui lui jetaient des pierres. Nous voulons parler des gens qui ont été lynchés parce qu'ils ont accidentellement bousculé des blancs sur le chemin de la gare ». Ne plus être aveugle. Ne plus fermer les yeux sur ce passé déchirant de violence.
« Juste voir les noms de tous ces gens »
Equal Justice Initiative
Pour que l'ampleur des faits soit mesurée, Bryan Stevenson a décidé de décrire certains lynchages au sein de ce mémorial. D'une violence inouïe, à faire trembler les tripes et comme le rapporte le New York Times, il est donc possible d'y lire des événements qui n'ont jamais été portés à connaissance : « Parks Banks, lynché dans le Mississippi en 1922 pour avoir porté une photographie d'une femme blanche. Caleb Gadly, pendu au Kentucky en 1894 pour 'avoir marché derrière la femme de son employeur blanc'. Mary Turner, qui après avoir dénoncé le lynchage de son mari par une foule blanche déchaînée, a été pendue à l'envers, brûlée et ensuite ouverte pour que son enfant à naître tombe par terre. »
Audra Melton / New York Times
Audra Melton / New York Times
Audra Melton / New York Times
Pour Bryan Stevenson, il était urgent que les Américains « trouvent des façons de vivre dans ce pays tout en parlant de choses dont nous n'avons pas encore parlé » et ce n'est pas « à propos de punitions. Si je crois que chacun de nous est davantage que la pire chose que nous ayons jamais faite, je dois le croire pour tout le monde » confiait-il au New York Times avant de rajouter qu'il veut « libérer l'Amérique ». Pour Stevenson, ce Mémorial était la promesse d'une Amérique en accord avec elle-même. Capable d'avouer ses torts. Capable de comprendre, à l'image du Mémorial de l'Holocauste à Berlin, qui met les visiteurs face à la vérité. L'affreuse vérité. Mais Bryan Stevenson croit en la rédemption. Une croyance à la rédemption qui s'applique à l'Amérique blanche.
Et pour les soucieux de l'avenir, à la fin du Mémorial, un point d'information est positionné afin que les visiteurs aient connaissance des diverses possibilités pour faire avancer la cause des injustices raciales. Bénévolat, les différentes manières d'en parler aux étudiants ou encore inscription des électeurs. Devant l'ampleur de ce grand immeuble, face à tous ces noms, Bryan Stevenson déclare au New York Times : « Vous vous sentirez certainement jugé et de poser la question : Qu'allez-vous faire ? »
« Pour toujours et à jamais. Amen. »
Equal Justice Initiative
Equal Justice Initiative