• 1300 : C'est le nombre de migrants qui ont perdu la vie en avril 2015, ce qui en fait un mois record, selon le porte-parole du Haut-commissariat de l'ONU aux réfugiés (ONU) Adrian Edwards. En 2016, 4742 migrants sont morts en passant la Méditerranée.
Est-ce que nous connaissons encore la notion de solidarité ? Est-ce que, en dépit de nos convictions, nous pouvons encore cohabiter ? Sommes-nous encore capables de tendre la main à un inconnu qui se trouve dans une détresse humanitaire, qui menace sa dignité ? Pour beaucoup de Français, la réponse est non. L'idée que la France est de plus en plus fasciste et égoïste persiste, mais est-ce vrai pour autant ? Peut-être avons-nous trop souvent l'habitude de ne retenir que les propos malveillants et haineux plutôt que les actions bienveillantes et humanistes.
En France, Manuel Valls, il y a deux ans, avait déclaré qu’accueillir des réfugiés serait la fierté de la France. C'est vrai. Il avait également assuré que la France accueillerait en son sein, 30 000 réfugiés. Ni plus, ni moins. C'est vrai. Quoique, davantage « ni plus » que « ni moins ». En 2016, la France comptait 26 750 réfugiés. Et nous, nous étions persuadés que la France comptait parmi elle des gens prêts à ouvrir leur porte aux nécessiteux, qui ont connu l'horreur.
Aujourd'hui, accueillir des migrants ne semble plus être une fierté. Alors que cela fait des semaines que des personnes se sont levées et mobilisés dans les rues de France pour dire "non" à la loi Asile et Immigration, jugée " inhumaine et inefficace " par Eric Coquerel, l'hémicycle a suffoqué ce dimanche. La loi a été votée par 228 voix pour, 139 voix contre et 24 abstentions. Soixante heures de débat. Un débat douloureux pour ses opposants. Un texte de loi voté en première lecture, qui constitue la promesse d'une vie encore plus compliquée et douloureuse pour les migrants.
De l'oxygène au Front National. C'est ce que suscite l'adoption de cette loi qui se veut « garantir le droit d’asile, mieux maîtriser les flux migratoires ». Concrètement, elle prive davantage les droits et les libertés des migrants par des mesures qui se positionnent sur une ligne très dure, proches d'une loi Pasqua. La loi Asile et Immigration a pour objectif d'appliquer un durcissement général des procédures pour les demandeurs d'asile et ce, enfants et adultes confondu.
Ainsi, la durée maximale de rétention a été doublée, également pour les enfants. Ils pourront alors être enfermés non plus pendant 45 jours mais pendant 90 jours voire 115, sans être coupables d'aucun délit. Pour les dossiers adressés à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), les migrants disposeront de 90 jours et non plus de 120 jours. L'article 5, en plus d'abaisser le délai de demande d'asile, permet à l'OFPRA d'imposer la langue dans laquelle le demandeur d'asile sera entendu.
Les délais des recours, eux aussi, prennent un coup. Les délais de recours des demandeurs déboutés devant la Cour nationale du droit d'asile, passe de 1 mois à 15 jours, mettant des bâtons dans les roues aux migrants, sachant qu'il faut compter 30 jours ouvrés pour un rendez-vous en préfecture. Ainsi, l'article 8 du texte de loi rend non suspensif le recours devant le CNDA pour les personnes ressortissantes des pays dits " sûrs ". Elles pourront donc être expulsées et mises en danger.
Alors, l'équipe du Demotivateur est allée à la rencontre de personnes qui ont décidé, du jour au lendemain, de répondre à l'appel de détresse d'un ou de plusieurs réfugiés. Avec ou sans hésitation, ils ont ouvert leur intimité à ceux pour qui l'intimité n'est plus qu'un souvenir lointain et dont le goût est devenu amer. Ils n'ont pas eu peur et ont prouvé que l'humanité existe toujours. Quelques jours avant que la loi Asile et Immigration soit adoptée, Demotivateur a rencontré Léo, Claire, Mustafa et Majid, parisiens et étudiants, réfugiés et humains avant tout.
Léo 23 ans, étudiant en relations internationales
C'est tout sourire que Léo nous a ouvert les portes de chez lui. Une maison un peu retirée, qui jouxte le bois de Boulogne. Après nous avoir accueilli et après quelques échanges, Léo, sans timidité aucune, nous annonce qu'il est prêt à répondre à nos questions, qui sont nombreuses. Cet étudiant en bachelor des relations internationales a grandi à Paris et a toujours eu un attrait pour la politique et plus spécialement la géopolitique. Très engagé, Léo cherchait à s'engager dans une association qui vient en aide aux réfugiés.
Mais Léo n'est pas passé par une association pour accueillir Mustafa, le réfugié afghan qu'il a pris sous son aile. Léo a tout bonnement vu l'annonce sur Facebook, dans le groupe « Wanted Bons Plans », là où les Parisiens et Parisiennes s'échangent des bons plans. Et quand on lui demande pourquoi il n'est pas passé par des associations, Léo s'esclaffe : « Parce que personne ne me répond. J'ai envoyé des lettres de motivation, des e-mails. Silence radio. Alors quand j'ai eu l'occasion de pouvoir faire ce que je voulais faire depuis longtemps, je n'ai pas hésité. Enfin. Un peu. Mais c'était clair dans ma tête, j'allais héberger un réfugié. »
L'annonce, à l'initiative de Claire que l'on rencontrera plus tard, indiquait qu'elle hébergeait un jeune homme qui se trouve être le meilleur ami de Mustafa. Léo explique que l'annonce précisait qu'il « créchait dans les couloirs de gare du Nord depuis un sacré bout de temps ». L'occasion pour lui de ne pas avoir à passer par les longues démarches associatives. Comme tout être humain, il a réfléchi « surtout parce que, en faisant ça, je n'impliquais pas uniquement ma personne mais également mes parents, chez qui je vis. Et à ce moment-là, j'étais avec ma copine. D'ailleurs, elle a grandement participé à ma prise de décision, c'est elle qui m'a poussé à le faire». Quand il a répondu à l'annonce où les likes n'en finissaient plus, il s'est dit qu'il enverrait un message tout en pensant que quelqu'un aurait déjà proposé son aide. En fait, il n'en était rien : « Ils mettent des likes, mais c'est tout ».
Et quand on lui demande comment ses parents ont réagi, il déclare en riant : « Mal ! Mais je les comprends. Ils ont un fils et surtout ils ont leurs habitudes et leur tranquillité. Un inconnu allait débarquer et chambouler un peu tout ça. Mais la vérité, c'est que j'ai pris cette décision alors qu'ils étaient en vacances. Je me suis dit ' comme ça, si ça ne va pas avec le garçon que j'accueille, j'en serais le seul impacté' ». Le lendemain soir où Léo a envoyé une réponse positive, Claire amenait Mustafa chez lui. « On a fait un petit apéro, en lui expliquant un peu comme on fonctionne chez nous ».
« Ils ont peur des coups dans les genoux »
Et pourtant, des endroits pour dormir, il en existe pour les réfugiés, non ? Oui mais non. Léo nous explique les conditions dans lesquelles les réfugiés doivent vivre quand ils se rendent des refuges : « C'est le bordel. Les communautés se battent entre elles, ils se font piquer leurs affaires et puis ils ont peur des flics, qu'ils fassent des descentes. Ils ont l'expérience de la police de Calais, donc même s’ils sont en règle, ils ont peur des coups dans les genoux ».
Parce que les coups dans les genoux c'est récurrent ? « Toutes les formes de violence sont récurrentes pour eux. C'est coutumier. C'est leur quotidien. Plus généralement, c'est l'insécurité qui les menace tous les jours ». D'ailleurs, les parents de Léo ont d'abord pensé qu'héberger un réfugié était illégal. « Quand ils ont compris qu'il n'y avait rien d'illégal, ils ont dit ok mais que jusqu'à leur retour. Du coup, j'ai emmené Mustafa avec moi en vacances, dans le sud de la France. Nous sommes arrivés le jour où mes parents repartaient, mais ils ont eu le temps de faire la connaissance de Mustafa. Ils l'ont adoré. Alors, ils ont accepté de l'héberger dans mon ancienne chambre. »
Pour Mustafa, qui n'a pas encore de papier, l'inquiétude quant à son avenir se fait grande. Et pour, Léo, est-ce que son geste généreux peut lui apporter des problèmes ? Quand nous lui demandons, il répond que « non, il a le droit d'être en France, donc ce que je fais est tout à fait légal » et pensif, de rajouter « tant qu'on ne le fait pas travailler, j'ai le droit ». Mais il y a un bien cas où l'hébergement pourrait s'avérer illégal. En effet, il nous explique que « si sa demande d'asile est rejetée et qu'il a l'obligation de quitter le territoire, alors dans ce cas, Mustafa, comme moi, serions dans l'illégalité. »
Demande d'asile
Cinq mois après, Mustafa est toujours chez eux. Et Léo s'affaire quant à l'avancée du dossier de Mustafa pour l'OFPRA, qui doit être entièrement rempli en Français. Des cinq langues que parle Mustafa (Farsi, Pachto, Indie, Anglais et Arabe littéraire), le français n'en fait pas partie. Léo lui apprend le français depuis le début et l'avait dirigé vers des associations qui apprenaient le français aux réfugiés, mais pour Léo, ce n'était pas forcément la bonne solution : « Ils sont très gentils et plein de bonne volonté, mais ce n'est pas suffisant pour apprendre correctement le français. ». C'est donc la copine de Léo, qui a pris la relève et qui lui a donné des cours de français. Et lorsque nous évoquons la famille de Mustafa, Léo semble très au courant, comme un réel ami le serait. Sa famille lui manque et il manque à sa famille, qui souhaiterait que Mustafa revienne. Étonnés, au vu de la situation de son pays, nous lui demandons, peut-être naïvement, pourquoi. Léo soupire : « 1 an qu'il est en France, 1 an qu'il n'a pas le droit de travailler. » Alors, qu'est-ce qu'on fait quand on ne peut pas travailler ? « Ben, on ne fait rien. » Et la fac ? « Pareil. On peut suivre les cours en auditeur libre, mais pas de diplôme à la fin ».
De toute façon, il n'est plus possible de retourner en Afghanistan pour le moment : « Les talibans sévissent, ils pètent tous les hôtels et même à Kaboul qui était jusqu'ici encore à peu près 'safe'. Ils ne ciblent même plus. Donc c'est trop dangereux. Ils ne renvoient plus personne là-bas, comme en Syrie. Donc il est assuré d'avoir la protection pendant encore au moins un an, même s’il préférait acquérir le statut de réfugié de 10 ans pour pouvoir s'installer. »
Et alors, comment a-t-on le statut de réfugié ? Concrètement, il y a des critères de droits d'asile. Si l'on considère effectivement que « tu rentres dans les critères, donc persécuté en raison de ton travail, ta race, ta nationalité, dans les critères de la convention on te le donne, ou alors on pense que tu as menti et là c'est toi et ta chance. En théorie, si on te dit non, tu dois rentrer chez toi. En théorie. Quoiqu'il arrive, il faut être persécuté personnellement. Et le prouver. C'est là tout le problème. »
Mustafa, 26 ans, anciennement traducteur pour l'armée américaine
Mais si Léo, qui s'est amouraché rapidement de Mustafa, paraît dépourvu d'émotion face à son geste pourtant si grand, c'est parce qu'il n'a pas envie de prendre celui qui est devenu son ami, en pitié. Et pourtant, lorsque l'on comprend l'enjeu de cette traversée de l'enfer, il est facile d'avoir de la peine. Beaucoup. Un sentiment amer, qui pique, vient nous rappeler la chance que l'on possède. Celle de crier, pleurer, rire, celle de s'habiller, de parler, d'exprimer ses opinions librement. On possède la chance de marcher dans la rue sans être menacé par des bombes ou des armes. Et, a priori, se séparer de sa famille, quitte à être le dernier survivant, ne sera jamais un dilemme pour nous. Mustafa, est un beau brun qui a atterri à Calais en 2016. Cependant, Mustafa peine à nous répondre. Mais il promet. Il promet qu'il va faire du mieux qu'il le peut.
Lorsqu'on lui demande quand est-ce qu'il a compris qu'il devrait quitter l'Afghanistan, il répond simplement : « En 2012. Quand j'ai fini mon job de traducteur pour la marine américaine. En réalité, c'était les idées des gens qui m'ont fait quitter l'Afghanistan. » Très vite, Mustafa nous confie qu'il avait déjà fui son pays, pour le Pakistan, alors qu'il n'avait que 5 ans : « Le pays dont j'aimais sentir les terres parce qu'elles me rappelaient l'Afghanistan avant les talibans quand j'avais 5 ou 6 ans, ressemblait un peu à l'Europe. À Kaboul, je me souviens un peu, le style de vie des filles était similaire à l'Europe. Et puis nous avons quitté l'Afghanistan quand j'avais 6 ans à cause des talibans. Dès notre départ, j'ai toujours voulu retrouver mon pays. Après de longues années nous sommes finalement revenus. Et encore une fois, les talibans et leurs stupides idées reçues sur les traducteurs m'ont fait fuir. Lorsque l'on travaille pour les Américains, on ne nous considère plus comme des musulmans ».
Fuir pour survivre
Mais alors, pourquoi fuir seul ? « Parce qu'un tel voyage coûte beaucoup d'argent. Encore plus si c'est avec toute sa famille. Et la seconde raison s'explique par la dangerosité d'un tel périple. Vous savez, les contrebandiers sont à la recherche de jeunes filles... et vous connaissez la suite. Il y a des voleurs, des ravisseurs et beaucoup d'autres groupes qui sont vraiment dangereux spécialement en Iran, en Turquie, en Bulgarie et en Hongrie ». Alors, lorsqu'il est arrivé en France, peut-être a-t-il été empreint d'un sentiment de soulagement ? Pas vraiment. Sa première impression n'a pas été celle qu'il aurait espéré avoir : « Quand je suis arrivée en France, ma première impression fut forcément mauvaise. La pluie, le froid et évidemment, nulle part où dormir. Du coup, la première chose que j'ai faite, c'est de me trouver une tente. Il fallait que je dorme. J'étais épuisé ».
Et puis, Claire a posté un message sur Facebook. Un message qui allait se retrouver au sein d'une masse sociale, une masse qui rêve de scander qu'elle sait se montrer humaine. Mais qui, finalement, n'a pas le courage de se montrer humaine. Un message qui sera lu, commenté et liké. Son message, c'est Léo qui a décidé d'en donner une importance. C'est grâce à ce message, que Léo s'est démarqué de cette masse immobile. Claire demandait de l'aide pour Mustafa. Seul dans les gares de Paris, avec pour seule compagnie son sac de couchage et la peur de se faire agresser ou emmener par les policiers. Alors, quand on demande à Mustafa, comment a-t-il vécu cet élan de générosité et de savoir qu'il ne dormirait plus dehors, il n'a pas su répondre. Certainement pour lui une manière de se protéger, il a réfléchi et a dit : « C'est dur d'y répondre. C'est dur parce que ça concerne les sentiments. Mais une chose est certaine. Je voue un énorme respect à Léo. Et à sa famille. Grâce à eux, j'ai maintenant une famille française. »
Claire, 25 ans, étudiante en école d'ingénieur
C'est d'elle que tout résulte. C'est grâce à elle que Léo a rencontré Mustafa et grâce à elle que Mustafa a pu connaître sa famille française. Et si Claire a le cœur sur la main, elle a aussi trop entendu l'histoire de sa grand-mère qui a connu l'exil. Sa grand-mère lui a toujours parlé de la « douleur de quitter son pays, sa culture et tous ses biens pour repartir de zéro ailleurs, dans un pays qui ne nous attend pas ». De ce fait, elle se décrit comme quelqu'un qui a toujours été « sensible à la cause des réfugiés », à même de comprendre ce qu'il leur arrive. Elle a toujours su, par « le biais de la télé ou des journaux » ce qu'il se passait. Mais ce n'est « qu’au printemps dernier, en revenant vivre à Paris et en travaillant vers Porte de la Chapelle que j’ai compris l’ampleur du problème. Des familles dormant dans la rue, des mineurs livrés à eux-mêmes et des hommes vivant dans des conditions inhumaines. J’ai commencé par donner un peu de nourriture, des vêtements et après deux mois je me suis décidée à ouvrir ma porte. »
On pourrait penser que c'est compliqué. Les questions fusent, et on se pose des questions, légitimes, malgré tout. Comment on entre en contact avec des réfugiés et à quel moment la confiance est assez importante pour leur ouvrir notre porte, aussi humaniste qu'il soit donné de l'être, ce sont des questions, qui peuvent constituer un frein à notre désir de tendre la main. Claire les a eues. Et les a surpassées. Elle explique, qu'une « bénévole [lui] avait demandé d’héberger Majid, il y a 7 mois de cela et les autres personnes qu'[elle] héberge ponctuellement sont suivies par des associations où ce sont des amis d’amis ».
Sept mois qu'elle s'est lancée. Et sept mois, à l'entendre, que tout va très bien. Elle nous explique qu'elle héberge pour le moment une personne à long terme, mais qu'il y a souvent d'autres personnes qui viennent s'installer, ponctuellement. « Donc on est minium 2 et on a déjà été jusqu’à 6 ! : Avant Majid, j’ai hébergé S. pendant 3 mois. Il y a aussi eu M. qui est resté 1 mois et de nombreux jeunes et adultes qui sont venus pour une, deux ou trois nuits. » Et pour la cohabitation ? Ses 21 m² ne semble pas poser de problèmes : « Que l’on soit 2 ou 6 dans mon petit deux pièces de 21 m², tout se passe très bien. C’est comme une colocation, chacun vaque à ses occupations durant la journée et on se retrouve le soir pour le repas ».
Les clés de l'autonomie
Claire semble avoir instauré quelques petites traditions, un climat de confiance. Elle s'explique : « Notre relation est avant tout basée sur la confiance : ils entrent dans mon intimité, je leur confie les clefs de mon appartement. Eux arrivent avec leur sac, seule chose qu’ils possèdent, et leurs traumatismes liés à ce qu’ils ont vécu durant leur parcours. Une fois qu'on se fait confiance tout se passe pour le mieux, et on passe rapidement d'inconnus à amis. Son confort ? Claire n'a pas du tout » le sentiment d’avoir perdu en confort. La cohabitation a juste nécessité quelques aménagements afin que la situation soit viable pour tous sur le long terme. "
Les aider, oui, mais en cas majeur : « Ils ont tellement de dossiers, de rendez-vous et de complications administratives qu’ils ont souvent besoin d’aide. Et puis il faut dire qu’on ne leur facilite pas la tâche en leur remettant bien souvent des documents en français et puis il arrive aussi que le personnel administratif ne parle pas anglais et là ça donne de grosses incompréhensions des deux côtés (nom de famille et prénom inversé sur l’attestation de demande d’asile, impossible à changer durant 6 mois et donc une attestation de cmu, un pass navigo et une carte bancaire avec cette erreur). Donc j’accompagne pour les rendez-vous importants mais sinon il faut qu’ils soient au maximum autonomes pour pouvoir se débrouiller seuls. »
Humanisme, toujours
Quand nous demandons, presque certain de la réponse, si beaucoup de personnes font ce qu'elle et Léo ont fait, elle nous répond positivement : « Oui beaucoup, il y a un grand réseau solidaire, certains hébergent, d’autres nourrissent, habillent et s’occupent des démarches administratives. À tous les niveaux, il y a des personnes d’une gentillesse incroyable qui apportent un peu d’humanité dans ce parcours fastidieux » une réponse qui fait sourire et qui laisse entrevoir l'espoir d'une humanité pas tout à fait perdue. Mais chez Claire, il ne s'agit pas que de dormir sous un toit. C'est aussi un « lieu où ils se sentent bien, où ils peuvent inviter des amis, cuisiner des plats de leur pays… Certains se confient beaucoup à moi et d’autres pas du tout mais ils savent qu’ils ont une amie à laquelle se confier et qui peut leur venir en aide en cas de difficultés, je pense que c’est rassurant ».
Donnant, donnant. En effet, persuadés qu'héberger des personnes d'une culture, d'une langue et d'une condition de vie, différente apporte une réelle richesse, nous lui demandons, si elle a le sentiment qu’eux aussi lui apportent quelque chose : « Ils m’ont appris à relativiser, avant, comme beaucoup je faisais un monde de petites choses : perdre ses clefs, faire cramer son plat, louper son train, discordes avec des collègues… et c’est bête mais maintenant tout ca m’est égal. Je me dis que j’ai de la chance de pouvoir étudier, travailler et vivre dans un pays sûr et j’essaie de rester positive sur ces petites choses qui font que ma vie confortable. J’ai aussi appris à cuisiner quelques plats afghans et je bredouille quelques mots en farsi maintenant ! »
La France, pas à la hauteur
Ce n'est plus un secret pour personne. Emmanuel Macron a fait couler de l'encre. Parfois pour le féliciter, mais en matière de réfugiés il s'est fait quelques ennemis. Ainsi, Yann Moix, dans une tribune cinglante, fustigeait le Président : « Monsieur le président de la République, chaque jour, vous humiliez la France en humiliant les exilés. J'affirme, Monsieur le Président, que vous laissez perpétrer à Calais des actes criminels envers les exilés. Je l'ai vu et je l'ai filmé. Vous les nommez 'migrants' : ce sont des exilés. La migration est un chiffre, l'exil est un destin. »
Claire semble d'accord. Pour elle, « cette situation est simplement inacceptable tant au niveau des conditions matérielles d’accueil que des déportations, de l’application de la procédure Dublin III ou encore du refus de prise en charge des mineurs isolés étrangers. J’ai souvent honte de ce que notre gouvernement leur fait subir, il y a heureusement de belles personnes solidaires ». Si c'était à refaire ? « Bien sûr. Je continue et je continuerai à héberger. »
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« Je m'appelle Majid. J'ai 24 ans »
Il est Afghan mais vivait en Iran : « Je n'avais pas une bonne vie en Iran, j'aurais toujours été un sans papiers là-bas, sans aucun droit pour vivre ». Alors, il y a deux ans, il est parti. Sans avoir réellement quelque chose à perdre. Il a « payé un passeur. Nous sommes partis à pied d'Iran jusqu'en Turquie, après nous avons rejoint la Grèce en bateau. » Ce voyage, il l'a effectué seul. Seul entouré d'autres personnes qui quittaient le pays avec l'espoir d'une vie meilleure. Comme Mustafa, l'arrivée en France a été un désenchantement : « Arrivé en France je suis allé demander l'asile. Un mois après j'ai eu ticket pour pouvoir avoir un rendez-vous pour déposer ma demande. En France le gouvernement ne fait rien pour nous au début. Ils ne nous donnent pas assez d'endroits pour habiter »
Quand Claire l'a accueilli, Majid explique s'être dit « que les Français étaient des gens bien et que c'était seulement le gouvernement le problème ». Aujourd'hui, Majid va en cours. Ses journées, il les remplie principalement en étudiant. « Le matin je vais à l'école, je reviens et j'étudie at home. » Pour lui, le plus difficile c'est « de ne pas avoir de maison, d'apprendre une autre langue ». Quand on lui demande ce qu'il espère, c'est naturellement qu'il répond qu'il « veut une vie normale, comme les autres. Je veux avoir un travail ou je pourrai être utile pour la communauté. »
Il semblait important pour nous, alors que nous avons l'occasion d'élever la voix d'une personne que peu de gens entendent et veulent entendre, de lui demander d'exprimer ce qu'il a sur le cœur. Exprimer ce qu'il a sur le cœur mais aussi ce qu'il aimerait faire comprendre à tous ceux qui ne comprennent pas. C'est un cri du cœur que Majid nous a exprimé.
« Nous ne sommes pas des animaux, nous ne sommes pas le diable, nous ne sommes pas des terroristes. Nous sommes tous pareils, nous avons tous le droit d'avoir une vie normale. Aidez les réfugiés. Nous ne sommes pas mauvais. Nous sommes venus en Europe car nous n'avons pas le choix. Personne ne veut quitter son pays, nous voulons vivre dans notre pays mais nous ne le pouvons pas. »
Si vous voulez aider
Se rendre utile, beaucoup en a envie. Mais pas toujours facile de trouver une association dans laquelle on puisse se sentir réellement impliqué ou pour laquelle on trouve le temps. Depuis 2015, une association qui milite pour les droits des migrants se mobilise et rassemble. Le Bureau d'accueil et d'accompagnement des migrants (BAAM). BAAM a vu le jour après que le lycée Jean Quarré a été évacué alors qu'il était occupé par 900 migrant(e)s qui venaient d'Afghanistan, d'Iran, du Soudan ou encore d'Erythrée. Tous avaient un point commun : ils fuyaient une vie qui n'en aurait plus été une. Et alors qu'ils pensaient vivre une vie meilleure en rejoignant la France, c'est la rue, les ponts et les trottoirs qui les ont accueillis.
Le BAAM ce sont des "juristes, enseignant.e.s, étudiant.e.s, travailleuses et travailleurs sociaux, artistes, journalistes, chômeurs et chômeuses, français ou étrangers, animé.e.s par la même volonté d’accueillir dignement les personnes migrantes". À travers cette association, des actions sont menées depuis que les conditions des migrants se dégradent. Hier, alors que l'hémicycle débattait la loi Asile et Immigration, une fête foraine, où on pouvait s'initier à la " pêche aux connards " battait son plein. Pas de manifestations, juste un bon moment au soleil pour faire oublier les galères que rencontrent chaque jour les migrants. Une belle façon de se mobiliser.
Fête foraine du BAAM, Boulevard Sérurier, 19e arrondissement / Pauline Masotta
Fête foraine du BAAM, Boulevard Sérurier, 19e arrondissement / Pauline Masotta
Et si vous aussi, le sort des migrants vous importe que vous souhaitez donner de votre temps pour eux, vous pouvez rejoindre l'association qui a toujours besoin de bénévoles. Soutien juridique, apprentissage du Français, accompagnement social, rencontres sportives et culturelles, vous y trouverez très certainement votre place et votre rôle.
* Pour protéger l'identité des personnes qui ont accepté de témoigner, nous avons changé les prénoms