Qu’est-ce que la cuisine japonaise ? Nancy Singleton Hachisu, autrice du livre Japon aux éditions Phaidon, était de passage à Paris pour nous faire découvrir cette gastronomie méconnue, une tradition fragile loin du glamour des sushis.
Il est 18 heures à Ten Belles Bread, un restaurant du 11e arrondissement de Paris, et en cuisine, ça s’agite. Après deux semaines en France, Nancy Singleton Hachisu signe un dîner à 4 mains, préparé avec le chef James Henry pour une soirée spéciale où elle présentera certaines des recettes de son livre Japon. Éditée par Phaidon, cette «bible» de la gastronomie japonaise présente les plats emblématiques de cette cuisine, bien méconnue en dehors de ses frontières, et parfois même dans les grandes mégalopoles de ce pays en pleine transformation.
Crédits : Salim Berkoun
À l’image de sa cuisine d’adoption, l’américaine devenue japonaise est insaisissable, se déplaçant d’un poste à l’autre en cuisine. Elle explique finalement : «Dans le livre, chaque recette est classée dans des catégories de plats qui sont des étapes du menu Kaiseki.»
le Kaiseki est un menu composé entre autres d’une soupe, de poisson ou de viande grillée et de riz. Le dicton dit «une soupe, trois accompagnements». Ce menu est un art mûrement réfléchi où l’objectif est de trouver l’équilibre entre saveurs, économie et couleurs. De nos jours, les gens n’ont plus le temps et se contentent de cuisiner chez eux un seul plat ou de manger dehors.
La cuisine traditionnelle japonaise est très difficile à définir. Selon Nancy Hachisu, les recettes contenues dans son livre peuvent être datées des années 70. Elles s’inspirent d’un livre cuisine de l’époque, «Healthy japanese cooking», écrit par une amie de l’autrice. À ce savoir s’ajoutent de nombreuses recherches et rencontres, mais loin de ce que les touristes connaissent. «Le vendeur de ramen vendra des ramen, le vendeur de soba sera spécialisé dans les soba (…) c’est pour cela qu’on les appelle des «boutiques» et non des restaurants. Il y a beaucoup de technique mais il n’y a pas tellement de cuisine, de cuisson. (…)». Chacun a son savoir-faire et il est difficile d’avoir une vision globale.
Crédits : Salim Berkoun
Nancy Hachisu disparaît quelques minutes pour vérifier la quantité de sel dans un bouillon. L’experte de la cuisine japonaise pointe ici l’une des raisons pour laquelle la cuisine japonaise est difficile à comprendre pour les occidentaux. Cette gastronomie, faite de métissages et d’une histoire particulièrement complexe est trop souvent réduite au maître sushi qui tranche à la perfection du poisson. Pourtant, le vrai menu japonais va plus loin que le sashimi et la soupe miso et cette tradition se perd face au spectacle et la fausse authenticité que les jeunes japonais recherchent.
Pour autant, la flexibilité est importante. On la retrouve chez «les grands-mères», des femmes âgées, rencontrées à travers tout le Japon par l’autrice qui assument entièrement la «mixité culturelle» de la «vraie cuisine japonaise». Selon cette dernière, ces cuisinières sont l’âme vivante de la gastronomie japonaise.
Crédits : Salim Berkoun
Crédits : Salim Berkoun
«La construction de ce livre a été magique : la maison d’édition trouvait cela plus logique de classer par type de recettes, mais ce n’était pas comme cela que les «grands-mères» cuisinaient. Finalement, elles m’ont appris, j’y ai mis du mien, j’ai rencontré des chefs qui ont perfectionné, m’ont aidé à doser les ingrédients, et finalement ce livre est à nous toutes.»
Mais avec toutes ces discussions autour de la tradition, qui se perd, qui se transforme, la question se pose : où poser la limite entre flexibilité et trahison ? Nancy Hachisu prend alors un exemple très concret pour elle : «je suis très triste et énervée à cause de ce qu’il se passe dans le monde autour du miso et d’autres produits fermentés comme le koji. Le koji est une spore qui ne vit qu’au Japon, ni à Paris, ni à Sidney. (…) Le souci est tout simplement que ces copies n’arrivent jamais à la cheville de la version originale japonaise.»
Il devient alors indispensable pour elle de me faire goûter un miso qu’elle rapporte tout juste du Japon, disponible depuis peu en France.
Crédits : Salim Berkoun
Crédits : Salim Berkoun
Elle m’explique avec un sourire qu’elle a « aussi fait une résidence récemment en Grande-Bretagne, de jeunes chefs, plein d’entrain et d’énergie, ils m’expliquent qu’ils utilisent mon livre pour faire des ateliers miso. (…) Tout le monde sait que pour conserver ses fermentations, il faut un espace sec et sombre, (…) pourtant eux utilisaient des récipients en verre et assuraient que leur miso avait un goût convenable. La technique japonaise fonctionne depuis plus de 1000 ans, pourquoi tout le monde ressent le besoin de faire son propre miso ? »
«On parle beaucoup en ce moment d’appropriation culturelle, c’est pour moi lorsqu’on prend quelque chose d’une autre culture pour en faire quelque chose de moins bon, de moins symbolique et qu’on la décharge de son histoire.»
Difficile en 2019 de faire un état des lieux de la cuisine japonaise, une seule solution : se débrouiller un vrai miso japonais de qualité, accompagné d’une bonne sauce soja, ainsi que le livre Japon de Nancy Singleton Hachisu. Si la vraie cuisine japonaise est insaisissable, préparer un menu kaiseki à la maison permettra sûrement de s’en rapprocher un peu.
Crédits : Salim Berkoun
Crédits : Salim Berkoun